Jouer à apprendre

J’ai eu connaissance des stages de LAJ (Langues Autonomie Jeux) un peu par hasard.

Depuis deux ans, je voulais me mettre sérieusement à l’espagnol.

Et je dois reconnaître que, malgré un petit séjour en Espagne, je peinais toujours et encore à me lancer, serrant les fesses quand il me fallait dire plus de quelques mots d’affilée dans cette langue.

J’avais imaginé monter un dossier DIF pour la prise en charge des coûts – fort élevés – de ce stage. Manque de bol, l’entreprise LAJ ne mange pas de ce pain-là.

Pour n’avoir affaire qu’à des gens vraiment motivés peut-être, comme le font les psychanalystes ?

J’avais donc pris des renseignements.

Ce qui avait vraiment accroché mon attention dans la documentation du LAJ, c’est qu’il s’agissait non seulement de l’oral – ça, oui bien sûr ! -, mais des mille manières de pratiquer la langue à l’oral.

Loin des dialogues poussifs bien connus « Je voudrais un billet aller-retour en 2ème classe pour Séville, s’il vous plaît Madame », alors que dans les faits, prononcer « Un aller-retour Séville » donne le meilleur résultat.

Le travail en groupe aussi.

Loin des labos de langue où on essaie d’imiter la voix d’un ‘bon’ locuteur.

Je passe sur les détails de ma décision.

Toujours est-il que je me suis décidée à casser ma tirelire pour sortir les 4 000 € que coûtent les huit semaines de stage : le stage proprement dit, plus la pension complète.

Le même prix que la belle AustinMiniCooper bleu clair que j’avais failli acheter d’occase pour me rendre en Espagne.

(A mon avis, les gens qui prétendent qu’on ne peut pas trouver de Mini bleu clair sur le Bon Coin devraient s’abstenir de lire les journaux personnels qu’on rencontre dans les fictions.)

Mais, bon, j’avais réussi à me décider, je n’allais pas faire marche arrière !

Comme je l’ai dit dans mes mails, j’en suis revenue enthousiasmée et, je l’ai amplement vérifié depuis, me voici vraiment apte à me lancer sans crainte dans une conversation courante en espagnol.

Je pense que je compléterai par quelques mois au Pérou, où je me suis laissé dire que l’espagnol est parlé plus lentement.

Mon enthousiasme porte aussi – pour moi, c’est pas rien ! – sur la qualité des repas élaborés par Juli, la chef, bien sûr bilingue ; je tiens à le signaler !

L’encadrement et l’environnement étaient entièrement bilingues, puisque c’est la spécificité de LAJ.

A propos, je n’arrive pas à détecter beaucoup d’élégance dans cet intitulé LAJ.

Bon, mais de quoi je me mêle ?

L’encadrement : quatre personnes, y compris la cuisinière.

Pas du tout des profs, mais des ‘Aidants’ ou ‘Accompagnateurs’.

Il paraît que le mot ‘pédagogue’ est formé à partir d’un verbe grec signifiant ‘accompagner’.

Soit dit en passant, ces Accompagnateurs m’ont paru avoir un joli mépris pour les profs ordinaires. J’estime que, bien au contraire, ils devraient se féliciter de l’enseignement tel qu’il est, …puisque c’est précisément sur ses carences qu’ils bâtissent leur propre chiffre d’affaires !

Avec Aracely, l’une des stagiaires et ma partenaire pour une activité, nous avons choisi de donner à des enfants d’un centre de loisirs une heure par semaine de familiarisation avec l’espagnol.

Il nous a fallu chercher, nous aussi, comment ne pas jouer aux ‘profs’.

Le principe était : ‘C’est en enseignant qu’on apprend’.

Ce qui m’est apparu très juste, en effet.

Bon, je reprends.

Ce stage de huit semaines s’est déroulé en périphérie de Toulouse.

L’hébergement était prévu chez l’habitant ; pour favoriser l’immersion des hispanohablantes, sans doute, mais aussi, me semble-t-il, pour casser l’éventuelle propension du groupe à rester entre soi.

Pourtant, vite rebellés, nous avons recherché – et trouvé – un lieu où habiter tous ensemble !

Depuis deux ans, LAJ organise un stage Espagnol/Français chaque trimestre, tantôt en France, tantôt en Espagne.

Il me semble qu’en ce moment, ils doivent être en train de se mettre en place à Alicante.

Il existe l’équivalent en anglais/français.

Et bientôt en allemand/français.

A ce sujet, voici une anecdote, qui nous a pas mal éclairés quant à la démarche générale des O/A (Organisateur/Accompagnateur/NonRégisseur) de LAJ.

Peu de jours nous avaient suffi pour nous rendre compte que Nath, l’une des stagiaires, Québécoise, est la compagne de Salvador, l’un de O/A.

Ce n’est pourtant que vers la fin du stage que nous avons été convaincus qu’elle était en fait, elle aussi, une O/A, même si elle n’était pas dans ce rôle pour ce stage Fr/Es.

Nous avons commencé à la suspecter d’être parmi nous en espionne, et le problème a donc été mis sur la table : nous avons appris, à cette occasion, que chaque O/A s’engage à apprendre périodiquement une nouvelle langue parmi celles qu’il ne connaît pas, et pour lesquels il existe un stage LAJ, et à participer en tant que stagiaire à l’un de ces stages.

Nath, elle, se prépare à être O/A pour les stages Fr/De à venir.

Nos ‘non-maîtres’, appelons-les ainsi, répugnent à faire publiquement état de leurs conceptions pédagogiques, et je veux bien parier qu’ils ne publieront jamais de traité à ce sujet ; qui cherche à les connaître n’a pour ressource que de mouiller sa chemise au cours d’un stage, et d’en déduire ce qu’il peut…

Reprenons par le début.

J’avais présenté ma candidature, sous forme écrite, en un espagnol …tout à fait approximatif : motivations, attentes, etc.

J’ai alors reçu une documentation plus détaillée que celle dont je disposais pour postuler.

Le côté ‘jeux’, que je découvrais alors, me plaisait car j’ai toujours pensé que ça devrait être la base des apprentissages, même pour des adultes.

Mais la notion d’’autonomie’ me paraissait tellement floue !

On me demandait d’écrire mes commentaires, toujours en espagnol, bien sûr ; ce que j’ai fait, en m’arrachant un peu les cheveux…

Et puis, il y eut une première conversation ‘d’évaluation’ par Skype.

Tu imagines mon stress mais, bon, j’ai été favorablement impressionnée.

Et, apparemment, j’avais réussi cette épreuve puisque que j’étais informée quelques jours plus tard, par Skype à nouveau, que je pouvais …procéder au versement du premier acompte.

A cette occasion, j’ai pu poser toutes les questions que je voulais sur le déroulement du stage, les autres stagiaires, le ‘niveau’ que je pouvais espérer atteindre, etc.

Un mois passe, pendant lesquels je m’efforce d’écouter de l’espagnol via internet : films sous-titrés, services en ligne des radios et télévisions en espagnol, et même les jeux télévisés, excellents vecteurs !

A l’arrivée sur les lieux, début novembre, l’accueil est à la hauteur de mes espérances.

Les locaux d’activités, par contre, ne me réjouissent pas vraiment.

Cette impression ne durera heureusement que quelques jours.

Les participants viennent d’Espagne, Argentine, Chili, Mexique, Belgique, Québec, Sénégal, France.

La première journée est ‘régie’ par les O/A, ce qui me fait m’interroger sur la fameuse autonomie mise en avant au cours des entretiens par Skype.

Je ne suis pas la seule dans ce cas : on en parle à table.

Le lendemain matin, les O/A abordent directement le sujet : ce sera la dernière journée où ils se comporteront ainsi car, à partir du troisième jour, le gouvernail du stage sera en-tiè-re-ment aux mains du groupe.

Ces deux premières journées auront consisté en l’explication d’outils et de méthodes que nous pouvons mettre en œuvre, puis se sont achevées par une longue évaluation en commun des séances que nous venions de vivre.

Pour te présenter les outils et méthodes, je choisis de commencer par les fameux ‘Binômes bilingues d’apprentissage mutuel’, l’une des spécificités de cette pédagogie.

Le principe en est ‘J’apprends la langue de l’autre en l‘aidant à apprendre la mienne’, dixit la formule officielle de LAJ.

Concrètement, un.e francophone et un.e hispanophone forment équipe, et vont échanger à propos d’un texte écrit dont ils disposent d’une version dans chacune des deux langues (ou bien qu’ils vont traduire ensemble depuis l’une des langues).

Au départ, je m’imaginais astreint à des exercices par écrit comme au lycée.

Mais je me suis vite rendu compte que ce sont les échanges oraux autour des textes en question qui importent.

Surtout dans le cas de la traduction en commun, les quatre manières de pratiquer une langue sont mises en œuvre : lire, écrire, écouter, parler.

C’est vraiment pas mal du tout !

Les O/A sont à disposition pour répondre aux demandes du binôme, ou d’un seul membre du binôme : vérifier que la compréhension est correcte, que les choix faits ne sont pas erronés, mais aussi conseiller à la demande sur la progression constatée, etc.

Mais l’accompagnateur s’interdit de prendre les rênes : l’apprenant reste le seul pilote de ses apprentissages.

Cette activité en binômes exige que les deux partenaires partagent non seulement des centres d’intérêt, mais aussi des préoccupations quant à la langue :

certains n’apprécient pas que l’on ‘perde du temps’ – cette expression fut beaucoup discutée, j’y reviendrai – à des considérations sur la langue, sa grammaire, les étymologies, et toutes ces questions qui surgissent de fil en aiguille, etc.

C’est pourquoi il nous avait été demandé, lors de l’inscription définitive, de nous présenter aussi de ce point de vue : qu’attendez-vous ?

Du coup, quelques caractéristiques de chacun – types de textes appréciés (sport, recherche spatiale, préoccupations alimentaires, etc.), accent ou non sur l’acquisition de vocabulaire, etc. – étaient d’emblée connus des autres, et servaient de critères pour le choix du partenaire.

Mais je dois dire que ces informations ne suffisent tout de même pas à assurer que le binôme va bien marcher.

J’ai pratiqué le binôme avec trois personnes différentes et, avec l’une d’elles, nous n’avons guère trouvé de manière agréable de fonctionner : ceci dit, en évoquant nos différences et nos désaccords, nous parlions aussi !

Le travail en binôme était largement facilité par un aide-mémoire que nous avions tous reçu, deux semaines avant le début du stage, et qui fournissait, dans les deux langues, trois cents phrases qui trouvent leur usage dans le cadre d’un binôme : depuis les élémentaires ‘Peux-tu répéter ?’, ‘Je ne comprends pas ce que tu dis’, ‘Parle moins vite stp’ jusqu’aux plus sophistiquées ‘C’est ce mot que je cherchais hier’, ‘Penses-tu que c’est avec ce type de texte que nous devrions continuer demain ?’, ‘Ça s’utilise seulement à l’oral ou est-ce que ça peut s’écrire aussi ?’, etc.

Cette activité en binômes m’a occupé en moyenne trois-quarts d’heure par jour, soit le cinquième du temps environ.

Mais ça n’a jamais été trois-quarts d’heure d’affilée : l’un des principes affichés était que, après dix minutes d’une activité, nous en changions autant que possible !

Loin des 50 minutes de cours du lycée…

Un gong servait parfois à scander le déroulement du temps.

Un très beau gong, d’ailleurs, dont j’ai encore la résonance en mémoire…

Les périodes de battement ne duraient, elles, que de trois à cinq minutes, après quoi chacun reprenait l’activité qu’il venait de laisser.

Ces quelques minutes étaient consacrées à une pratique physique élémentaire : se mettre en cercle et se lancer le ballon en énonçant quelques paroles au format 2PMS (j’explique ça bientôt), ou ce genre de choses.

La tenue de tous les jours était de celles qu’on adopte pour faire du sport ou du yoga, etc., car des pratiques physiques émaillaient largement l’emploi du temps.

Je te décrirai aussi les périodes de repos …inscrites dans l’emploi du temps officiel !

Des activités, il y en avait à la pelle.

Les journées ont presque toutes commencé par une salutation générale (dans les moments de crise aiguë du groupe, ça flottait un peu !) : chacun arrivait avec une ou deux phrases, pas plus, ou même seulement un ou deux mots, qu’il avait envie de communiquer aux autres – comment il se sentait ce matin-là, ce qu’il attendait de la journée, etc. – et nous passions devant chacun des autres pour les lui dire de manière personnelle ; en cette circonstance, seule la langue-cible était utilisée, et après avoir dit trente fois notre petite salutation il y avait comme une aisance…

Puis venaient les deux minutes en cercle, nous tenant par les épaules (j’avais vu des équipes de foot faire la même chose): au départ, ça ne me disait rien, ce truc que je trouvais gnan-gnan ;

d’ailleurs, quand on a discuté pour savoir si nous allions le garder en tant que rituel, je me suis prononcé contre.

A la longue, je m’y suis faite, et j’ai fini par estimer que, oui, ça a contribué à maintenir le groupe qui, à plusieurs moments, a failli partir en sucette.

Noter : je m’étais prononcé contre, mais ça avait continué…

Ben oui, le consensus « aménagé » !

Qui dit ‘autonomie du groupe’ – complémentaire de l’autonomie de chacun dans la gestion de son propre apprentissage – dit forcément ‘mode de prise des décisions’.

Il y a beaucoup à dire sur le fonctionnement en consensus que nous avons adopté au départ pour certaines des décisions du groupe plénier.

Mais trois autres modalités ont également été expérimentées : pile ou face, loi de la majorité en assemblée générale, décision par un trio désigné par tirage au sort pour décider.

Tout ça doit te sembler loin des langues !

Eh bien figure-toi que non, puisque ça nous a mis en demeure de parler l’autre langue – la langue-cible – sur des sujets qui nous concernaient directement et qui, dans certains cas étaient largement conflictuels !

La modalité généralement adoptée pour nous exprimer, surtout au début, était le 2PMS que j’ai déjà évoqué.

C’est l’acronyme de ‘Passe-moi le sel – Pasame la sal’, c’est-à-dire que chaque phrase était prononcée successivement dans les deux langues.

Si on ne voulait s’exprimer qu’en une langue, c’était obligatoirement dans la langue-cible.

Certains exercices de petit groupe se passaient comme ceci – formule baptisée ‘Chapitre’ :

Six personnes d’une même langue d’origine sont en cercle, debout – ou les fesses reposant sur un siège haut formé d’une selle de vélo, les pieds reposant par terre -, pour un échange sur un sujet donné, qui a lieu, bien sûr, dans leur langue-cible.

Derrière chacune, une personne dont cette langue-cible est la langue habituelle écoute ce que se dit, et si la formulation exprimée lui semble devoir être modifiée elle lui souffle à l’oreille une formule convenant mieux, qui pourra être reprise par le locuteur ayant voix au chapitre.

Des paires chapitrant/souffleur, donc.

Ces séances étaient enregistrées. Samuel, l’un des O/A était un semi-pro des enregistrements audio.

De nombreuses activités faisaient l’objet d’enregistrements, qui étaient en général téléchargeables le jour-même, un peu nettoyés si besoin.

En collaborant assez souvent avec ce Samuel, j’ai appris pas mal de choses ; en technique-son bien sûr, mais aussi en espagnol.

A l’issue d’une séance de Chapitre, une séance de repos prenait systématiquement place pour les chapitrants : chaise-longue ou hamac au choix, lumière tamisée, musique planante.

Un flot d’originalités pédagogiques, donc.

Je vais en mentionner quelques autres encore;

L’une d’entre elles, non négligeable, est que le Jeu – la boîte s’appelle Langues Autonomies Jeux, et c’est pas pour rien ! – y avait une place très importante.

Inclus les jeux de cartes et d’autres jeux de compétition : c’est vrai que les amateurs de ce genre de jeux parlent, et parfois abondamment, durant les parties !

Mais je veux surtout évoquer d’autres types de jeu, des ‘jeux pour jouer’, pour s’amuser comme des gosses…

Ce type de jeu était très présent dans les activités ‘officielles’ du stage.

J’y reviendrai.

Par ‘officiel’, j’entends ce qui se déroulait durant les 4 heures quotidiennes d’activités en commun : de 10h à 12h, puis de 17h à 19h.

Le reste du temps était également très occupé, du moins pour les plus courageux : les stagiaires s’organisaient par groupes d’affinité pour d’autres activités qui, parfois, avaient lieu hors des locaux.

Une activité, signalée dès le début du stage par les O/A, et fortement recommandée par eux, était celle de ‘Danse intuitive’ que proposait deux fois par semaine un club de Toulouse.

Après coup, je regrette de ne m’y être pas collée, mais bon, on ne peut pas être partout…

Ceux qui ont pratiqué cette danse intuitive ne tarissaient pas d’éloge à son sujet !

J’ai pu constater qu’au moins deux des pratiquants de cette danse intuitive ont modifié grandement leur manière de s’exprimer au cours du stage et j’y vois un lien de cause à effet.

Donc, des ‘Jeux’.

Un exemple.

Les indications fournies avant le stage demandaient d’apporter de quoi se déguiser :

non pas des déguisements complets, mais des éléments permettant d’évoquer un déguisement.

J’avais apporté une belle chaînette en faux or, de grosses lunettes de soleil, un gros cigare évoquant le mafioso fier de lui, sans oublier le chapeau adapté au personnage.

Principe : ces éléments de déguisements étaient tous à la disposition de chacun des membres du groupe ; ce ne sont d’ailleurs jamais mes propres éléments que j’ai utilisés sur place, car j’en ai trouvé plusieurs qui me plaisaient davantage.

En particulier le rôle de facteur (une simple casquette à l’ancienne indiquait le rôle) :

aller de personne en personne pour distribuer le courrier et échanger quelques paroles sur le temps qu’il fait, les voisins absents, les nouvelles de la famille (les mêmes qu’on a commentées la veille, mais peu importe…), etc., voilà mille bonnes occasions de se dégourdir la langue !

Dans ces accoutrements en rupture avec les vêtements de tous les jours, nous inventions ainsi des scénettes, parfois improvisées sur place, mais parfois un peu préparées à l’avance, dictionnaire en main !

Une activité de théâtre nous a beaucoup fait rigoler : jouer dans l’une ou l’autre langue des scènes tirées des Bidochon de Binet.

Il y eut aussi des discours.

Discours à l’occasion du départ d’une personne (représentée par un stagiaire nommément désigné) quittant une entreprise par exemple.

Pour de telles circonstances, il était obligatoire de piocher dans un répertoire de proverbes dans les deux langues, tenu à disposition.

Et aussi de prendre le contre-pied des formules habituelles :

« Je n’emploierai pas le mot ‘irremplaçable’, car nul ne l’est », etc.

Ces jeux et simulations avaient, selon moi, un double objectif :

lier intimement apprentissage et plaisir, et ainsi le faciliter,

mais aussi insuffler une ambiance de détente dans la vie quotidienne

et aider au dépassement des crises personnelles et de groupe qui ont largement ponctué ce séjour.

Car, oui, des crises, il y en eut ! Et de belles !

Trente personnes très différentes qui se frottent à longueur de journée ne peuvent que produire tout naturellement de l’électricité, non ?

Je n’y ai pas échappé.

M’entendre dire que je ne reçois souvent pas ce qu’on me dit comme on me le dit, mais comme je l’interprète, ça m’a troublée !

On aurait d’ailleurs pu me le dire plus tôt !!!

Je n’ai pas été la seule à prendre des leçons de « conduite ».

Deux ‘fort en gueule’, genre mâles dominants, se sont vus remettre en place :

l’un comme l’autre avaient des solutions

– généralement opposées, d’ailleurs –

à tous les problèmes de vie en commun que nous avions à résoudre ;

c’était eux aussi qui savaient mieux que tout le monde ce que signifiaient les indications du Livre

– je t’expliquerai ça, « le Livre » -,

et qui se mettaient donc systématiquement à nous les expliquer, nous les benêts.

Une « maman de la tribu », toujours la première à prendre en charge les tâches moins gratifiantes

– mais souvent stratégiques, hum ! hum ! -,

ou à aider individuellement chacun à résoudre ses petits problèmes, etc.,

a aussi passé quelques mauvais moments de mise au point…

Il y eut également de très nombreux moments de grâce.

Par exemple, quand il s’est agi d’aider Jessica à se jeter à l’eau :

au bout d’un mois ou presque, elle était toujours aussi bloquée à l’oral qu’à son arrivée.

A part dans les activités en binôme et dans la vie courante (repas, etc.), elle parvenait difficilement à prendre la parole dans l’autre langue.

En partie, me semble-t-il parce qu’elle redoutait de provoquer des jugements négatifs à son égard.

Le Livre – j’y viens, j’y viens ! – comportait trois ou quatre voies pour une aide de groupe dans un pareil cas.

Jessica avait choisi la demi-douzaine de personnes avec lesquelles elle était OK pour tenter de dépasser son blocage, et ce fut un vrai bonheur de l’entendre soudain prendre son envol ;

un peu comme le bambin qui, du jour au lendemain, se met à multiplier avec joie les tentatives de prendre la parole dans le cercle familial.

Un tel care bienveillant a aussi été mis en œuvre pour aider Jérôme qui n’arrivait pas à sortir de l’ornière d’un accent défectueux.

J’ai ainsi découvert comment l’on peut progresser – y compris dans l’apprentissage – en faisant toute sa place à la vie de groupe.

Et puisque j’ai déjà évoqué le ‘consensus’, je dois dire que je suis sortie de ce stage avec une conception autrement plus large que le simple « consensus = les décisions sont prises à l’unanimité » !

Dans la pratique des activités en groupes restreints – c’est là qu’avait fini par prévaloir la méthode du consensus –, nous avons été initiés au ‘Tourdhorizonimmédiat’ :

si quelqu’un se sent tout d’un coup moins dans le coup, ou s’il pense qu’il y a un problème sous-jacent au groupe, il est invité à demander l’arrêt immédiat de l’activité en question ;

un tour des membres du groupe permet alors de connaître l’état émotif de chacun et du groupe.

Il est arrivé souvent que, au même moment, le même problème saute aux yeux – ou au cœur – de plusieurs des membres.

En tentant de le prendre en compte dès son apparition, nous avons évité, je crois, de laisser pourrir des situations.

Une sorte de consensus des émotions, en quelque sorte.

Je viens d’écrire que nous avons été ‘initiés’ à ça.

Les O/A auraient donc quitté leur posture de ‘non-maîtres’ ? Pas du tout.

Et c’est pour moi l’occasion de t’expliquer un point qui m’a stupéfiée.

Nous n’avons souvent inventé ni les diverses activités dont j’ai parlé, ni la manière de les pratiquer.

Il y eut d’abord les deux jours d’entrée en matière où les O/A ont fait figure de ‘maîtres’.

Pour le reste, tout figurait dans un livre, LE LIVRE :

je parle d’un gros document posé solennellement sur un lutrin, et consultable en permanence.

Bien sûr, une version était disponible en ligne, mais ça n’avait pas le même poids !

Ce livre répertoriait une montagne de propositions de la part des O/A, et nous n’avions qu’à piocher là-dedans … puis à en décider ensemble – en binôme, ou en petit groupe, ou en groupe plénier selon les cas -, ce qui ne fut pas le plus facile !

Certaines explications, un peu difficiles à formuler par écrit, étaient fournies par un DVD complémentaire ;

ce fut par exemple le cas pour le Tourdhorizonimmédiat que je viens d’évoquer.

De cette manière, passés les deux premiers jours, nous n’avions plus aucun prétexte pour considérer les O/A en chair et en os comme les guides de notre apprentissage.

La posture ‘non-maître’ de ceux-ci, et leur message implicite ‘le groupe, c’est votre affaire’ se sont même traduits par une relative distance entre eux et nous.

Au restaurant par exemple, leurs tables et les nôtres ne voisinaient pas.

Lors des deux derniers jours, consacrés aux bilans, cette attitude prit fin :

ils ont, du coup, partagé leurs bilans avec nous, ce qui a beaucoup enrichi les nôtres.

Ah ! à l’occasion des matchs de foot ils étaient là aussi, avec nous, tout comme nous ;

pourquoi en ce cas et pas en d’autres ? mystère…

Ah ! oui, faut que je te dise en quoi consistaient ces matchs qui, à un moment donné, avaient lieu tous les deux-trois jours.

Deux équipes de six, ou huit, ou dix joueurs chacune, sur un petit terrain.

Les membres de chaque équipe s’identifient par un brassard.

Il n’y a pas d’arbitre.

Pas de sifflet non plus, mais un gong, celui que j’ai déjà mentionné.

Le ballon est une copie des ballons que fabriquent les gosses des bidonvilles de par le monde :

des sacs plastique bien enserrés dans un filet ;

je t’assure qu’avec ça, pas besoin de chaussures de foot !

Jusque-là, rien de si étrange si ?

Le plus important, c’était les règles.

Par exemple, les deux équipes s’échangeaient un joueur toutes les trois minutes :

sans que la partie s’arrête, gong ! on s’échangeait les brassards, et hop !

La plupart du temps, il y avait de vifs encouragements ou injures criés depuis la touche, … dans les deux langues !

J’ai même entendu une fois ‘ À bas l’arbitre !’…

Je ne sais pas quelle impression te donne mon compte-rendu mais, très vite épuisée, je peux t’assurer que mes deux premières semaines furent un peu dures à vivre.

La plupart des autres étaient manifestement dans le même cas, car lorsque la proposition d’une journée de relâche fut faite par l’une d’entre nous, l’unanimité se fit aussitôt pour l’approuver (il n’y eut plus ensuite, au cours des deux mois, que deux autres journées de relâche).

Faut dire que ce n’est qu’à la troisième semaine que j’ai commencé à constater un peu de fluidité quand je prenais la parole en espagnol !

A partir de là, les choses se sont mises en place plus tranquillement, et j’ai trouvé ma vitesse de croisière.

Parmi les propositions du Livre, figurait celle d’inviter un chercheur en neurosciences s’intéressant à l’apprentissage verbal.

Nous l’avons acceptée.

Pour la circonstance, l’un des O/A effectua une traduction au fur et à mesure.

Je n’ai pas gardé un souvenir net de ce que j’aurais pu apprendre de cet exposé ;

la mécanique, qu’elle soit cérébrale ou autre, n’a jamais été ma tasse de thé.

Par contre, le questionnaire qui nous fut appliqué ensuite de manière anonyme, oui, je m’en souviens bien.

J’ai gardé la copie des réponses, d’ailleurs, car nous n’avions pas laissé partir le chercheur sans prendre copie de tous les questionnaires dont il espérait faire son miel.

Il nous était demandé de faire l’inventaire des moments où nous avions eu l’impression de faire un bond dans l’apprentissage, et de ceux où nous avions l’impression qu’apprendre ne donnait aucun résultat, en donnant le plus d’éléments sur le contexte où avaient pris place ces moments.

Pourquoi je m’en souviens si bien ?

Parce que c’est à cette occasion, en parcourant les réponses fournies à ce questionnaire par l’ensemble des stagiaires, que j’ai été complètement convaincue de la pertinence de la démarche de LAJ :

au-delà même des méthodes actives, au-delà du bilinguisme, au-delà de la vie en groupe, du jeu, etc., créer une multiplicité et une diversité de contextes favorables.

Tous ces contextes auront-ils été favorables pour tous ?

Il est possible que non, si j’en crois quelques remarques un peu désabusées entendues au cours de l’évaluation finale, que je n’avais pourtant jamais notées auparavant, ni au cours des conversations informelles, ni via la mailing list où nous écrivions chaque jour.

Ah ! La mailing list : voici de quoi il s’agissait.

Nous avions accepté la proposition du Livre d’écrire quotidiennement quelques lignes à une mailing-list à laquelle nous étions tous abonnés – O/A compris -, étant également tous scripteurs.

Nous devions, en écrivant, nous imaginer nous adressant à une personne en particulier, une connaissance ne participant pas au stage (je ne précise pas qui j’avais choisi comme destinataire imaginaire…).

Ce mail quotidien – ou régulier, disons, car je n’ai pas été le seul à ‘oublier’ certains jours – constituait l’un des nombreux baromètres de l’évolution du stage.

Un peu longuet à lire, certes – 30 mails quotidiens ! – mais très instructif.

Je suis fière d’avoir été à l’origine d’une pratique que plusieurs autres ont ensuite adoptée : le Dicoperso. Si ça se trouve, elle figure désormais dans le Livre !

Je faisais partie de ceux pour qui l’acquisition de vocabulaire de la vie courante était l’un des objectifs importants du stage.

Au cours des séances de Binômes, j’avais commencé à noter les mots nouveaux pour moi, ou que j’avais oubliés, sous forme d’un dico – exclusivement en espagnol – où ces mots figuraient, situés dans le contexte où je les avais découverts.

Le soir, avant de m’endormir, je reprenais ce Dicoperso et je répétais ces mots et la phrase-contexte dans ma petite tête, ou parfois à haute voix.

Le matin, me réveillant, ma première action consistait à me remémorer ces mots et ces bouts de phrase. J’estime que ce fut très efficace.

L’horaire des sessions ‘officielles’ a été un temps modifié, puis on en est revenu aux 10-12 et 17-19 qui avaient été inaugurés par les A/O.

Quatre heures d’activités en commun par jour, c’était déjà pas mal !

D’autant plus qu’il y avait tellement d’autres activités : j’ai déjà mentionné la familiarisation des gosses avec l’espagnol.

Anecdote encore : quelques-uns de ceux-ci avaient pris la liberté de venir traîner dans nos pattes et nous regarder apprendre.

Il y eut une proposition pour empêcher leur intrusion, mais le consensus fut loin d’être obtenu !

Autre activité encore : la peinture chez Maria.

Il ne s’est pas agi de peindre des tableaux, pas du tout, mais de refaire bénévolement la peinture d’une des pièces du logement de cette vieille dame.

Les O/A avaient fait fort : trouver une personne dont les parents étaient des réfugiés espagnols et qui avait gardé le souci de la langue d’un là-bas où elle n’avait jamais vraiment vécu, ok ; mais nous proposer d’aller, non pas seulement lui faire une petite visite de courtoisie, mais réaliser chez elle un chantier de rénovation, chapeau !

Il nous a fallu, à trois, Maria, Alex et moi, nous mettre d’accord sur la manière de procéder (quels dérangements pouvait accepter Maria, quelles couleurs, etc.), les achats à faire (acrylique ou non, quel budget, etc.), puis mener le chantier, qui comportait heureusement des pauses pour boire una cerveza ou un café, et papoter…

Très bons exercices, tout ça : je recommande !

Maria, aussi, sera venue ensuite nous regarder apprendre, et ça l’aura bien amusée !

Elle en aura certainement parlé ensuite à son club de vieux, où l’on se sera demandé, j’imagine :

Pas de professeurs ?

Et ils paient, combien dis-tu, plusieurs milliers d’Euros pour …venir retaper ta bicoque ?

C’est pas sérieux !

Et tu dis qu’une des filles était venue d’Argentine ?

Ils sont dingues !

Faudrait que je parle aussi des amourettes :
en deux mois, ça largement le temps d’éclore,
et puis ne dit-on pas qu’on apprend bien une langue sur l’oreiller ?

Aisé d’imaginer les problèmes qui ont surgi au sein d’un tel groupe résidentiel dont, de surcroît, la vie de groupe constitue l’un des piliers pédagogiques les plus importants…

Dans la rubrique ‘partage’, je vais pourtant aborder plutôt la question ‘fric’.

Sans avoir été centrale au cours du stage, non seulement elle n’a pas été esquivée (‘oui, c’est tout de même cher !’) mais elle a été entretenue délibérément.

Le Livre disait qu’on pouvait provoquer, par un tirage au sort, le reversement du prix du stage (hors hébergement et repas) à une personne du groupe ;

il a fallu chercher à comprendre les tenants et aboutissants d’une telle hypothèse : pourquoi ? comment ? etc.

L’espoir de récupérer 4 000 euros, c’était pas rien, mais cette somme a failli devenir notre part maudite ! Une des questions : ‘et si les 4 000 allaient à celui ou celle d’entre nous qui ne les a pas payés ?’.

Car, oui, j’ai omis de te dire que, lors de notre candidature, nous pouvions demander la gratuité du stage (hors hébergement et restauration) si nous estimions moral de le faire ;

les candidatures seraient tirées au sort pour désigner le, la ou les chanceux.

Si bien que, tout a long du stage, nous pouvions nous demander qui avait bénéficié de cet avantage, voire s’il y en avait plusieurs !

Et donc, imaginer que ce soit un stagiaire n’ayant pas payé qui bénéficie de ces 4 000 euros…

Il nous a fallu deux bonnes semaines après que la question eût été évoquée une première fois, vers la moitié du stage, pour décider que, oui, nous allions mettre ça en musique.

Et de la ‘musique’, il y en eut !

Le sort a désigné Ricardo, qui apprenait au même moment le décès de l’un de ses parents Au Chili. L’hypothèse qu’il veuille utiliser cet argent pour, avec sa compagne, se rendre aux obsèques est évidemment apparu archi-raisonnable dans un premier temps.

Oui mais voilà, une discussion a surgi sur ‘oui ou non, pouvait-il décider seul de quitter le stage ?’

car ‘tu n’es pas seulement en train de perfectionner ton français, Ricardo :

tu es aussi une ressource pour nous tous, et c’est cette ressource que nous avons payée !’.

Bon, de fil en aiguille, Ricardo n’aura pas quitté le stage et même, vu la complication, il refusera de recevoir cette somme pour se payer l’avion en fin de stage !

Quelques réflexions des uns ou des autres :

‘Ce n’est pas LAJ qui t’offre cette somme, c’est nous tous, ou du moins ceux qui ont payé.

Et ceux qui n’ont pas eu à payer le stage, eux aussi, c’est des autres qu’ils ont reçu ce cadeau !’.

Une vraie bombe était lâchée…

Ce qui est certain, c’est que c’était là encore un nouveau contexte où utiliser notre habileté à pratiquer notre langue-cible !

Question ‘fric’ encore, un solde restait à payer à la fin du stage.

Il me semble que tous l’ont payé …après que tous les comptes du stage aient été rendus publics pour être discutés l’avant-dernier jour.

Précision : nous avons finalement décidé que tout le monde était obligatoirement en pension complète ; ceux qui, pour une raison ou une autre, ont préféré découcher parfois, ou s’offrir un restau de temps en temps, ne pouvaient prétendre à aucune déduction.

Tu imagines les discussions à ce sujet !!!

Les ordinateurs portables ou tablettes étaient indispensables, mais n’étaient pas fournis : nous pouvions en louer.

Je viens de relire ma prose,
et je pense n’avoir pas assez mis l’accent sur l’aspect ‘jeu’.

J’y reviens donc un peu.

Petit à petit s’est instaurée, à certains moments, une ambiance de cour de récré, comme proposé dans le Livre.

A vingt ou trente ou quarante ans, ça ne va pas de soi de se courir après, de s’attraper par le vêtement, d’exprimer sa joie d’avoir réussi ou évité, ou son dépit d’avoir raté, de crier que ‘C’est pas du jeu’, ou ‘Je suis pas d’accord’ etc.

C’est pourtant un comportement que nous avons réussi à retrouver petit à petit.

Ça chantait aussi pas mal.

Surtout vers la fin.

Il y eut plusieurs séances où nous nous entraînions à raconter des histoires drôles dans la langue-cible, ou à poser des devinettes.

Mais quand la même personne tentait pour la quatrième ou la cinquième fois de raconter aussi mochement la même histoire, ça n’était plus drôle du tout !

Je crois n’avoir pas été la seule à repartir avec ma petite collection d’histoires, dans mon cas en espagnol.

Ceci dit, ce qui fait rire de l’autre côté des Pyrénées ne fait pas forcément rire de ce côté-ci.

Les tentatives de réaliser des séances de ‘jeux de mots’ au sens habituel de cette expression n’ont donné que des résultats décevants.

Nous avons par contre beaucoup pratiqué et apprécié la lluvia de ideas (en bon français = brainstorming) sur des sujets divers :

comme exercice, quand on cherche à se faire comprendre dans une langue où l’on tâtonne, c’est pas mal du tout !

De temps en temps des séances de ‘rire provoqué’.

Ça ne plaisait pas à tout le monde, et pour ma part, après avoir aimé m’y entraîner, je m’en suis assez vite lassée.

Nous nous sommes aventurés à aller photographier des gens dans la rue, avec leur accord bien sûr, en les invitant à venir nous rendre visite et voir l’expo des photos ainsi réalisées.

Les hispanophones on été très bien reçus en général, quelquefois même félicités pour cette démarche qui rompt avec le vide relationnel des rues contemporaines.

Nous imaginions que c’était très compliqué d’oser parler à des inconnus, a fortiori dans la langue-cible, mal maîtrisée, et de réussir à les convaincre de notre démarche.

Eh bien non, à part quelques remarques acides (‘Bande de fainéants, vous feriez mieux de travailler ’, etc.) ce fut un vrai bonheur.

Quand venait un visiteur, nous avions un jeu à lui faire découvrir, apporté par l’un des stagiaires : le jeu de la règle.

Un truc bizarroïde où celui qui gagne a le droit de modifier la règle du jeu pour la partie suivante.

Pour faire découvrir le jeu à un visiteur francophone, c’était bien sûr un.e hispanophone qui s’y collait !

Sous le titre ‘Enseigne-moi quelque chose que tu connais (ou que tu sais faire) et que je ne connais pas (ou que je ne sais pas faire)’, il s’est aussi passé pas mal d’échanges intéressants ;

ça s’est déroulé surtout en petits groupes, sur invitation :

on dispensait plutôt son savoir ou sa compétence à des gens que l’on choisissait.

Pendant près d’un mois, certains ont fait les chroniqueurs :

quotidiennement, ils se tenaient au courant par internet de l’actualité dans un pays pour en faire une chronique par oral.

Toujours en 2PMS ou dans la langue-cible, bien sûr.

La plupart ont choisi de parler de leur propre pays d’origine, ce qui donnait une touche personnelle à leurs propos.

Pour moi, ce fut la Bretagne.

L’une des tâches en binôme a consisté à préparer ces interventions.

Vers la fin, nous avons décidé de bannir progressivement le 2PMS.

Durant les deux dernières semaines, un jour sur deux était alternativement en espagnol ou en français, le 2PMS n’étant plus toléré qu’à l’extrême rigueur’

Nous avions aussi à notre disposition des enregistrements audio pas mal intéressants et que nous pouvions télécharger pour les écouter quand bon nous semblait.

Je ne connaissais pas ce type de documents : le même texte est enregistré d’abord dans la langue connue de l’écoutant, puis il y a deux ou trois versions bilingues différentes, et on en vient à écouter une version monolingue dans la langue-cible …et on la comprend !

J’ai moi-même participé, avec Juan, à l’enregistrement de deux textes selon ce même principe : le chapitre VII du Petit Prince et un extrait du Don Quijote.

Dans ces enregistrements, j’assure la voix en français, et Juan la voix en espagnol.

Autre activité à deux : Juli étant de repos le samedi, la cuisine était ce jour-là l’affaire des stagiaires et les plats étaient préparés à deux :

quand ça a été mon tour, j’ai choisi de découvrir le pay de limon avec Alberto, mon co-équipier mexicain pour la circonstance. Nous avons dû nous démener pour trouver sur place les fameux ‘citrons verts’ qui, paraît-il ne sont aucunement des ‘citrons’ (on en apprend tous les jours !)…

et aussi pour trouver le vocabulaire de cuisine, dont nous n’étions pas plus familiers l’un que l’autre.

« On perd du temps, là »
l’expression d’un agacement devant les lourdeurs de la prise de décision est souvent apparue dans les débuts.

Certains estimaient que discuter et encore discuter était « Couper les cheveux en quatre », quand d’autres se délectaient d’entendre s’exprimer ainsi une diversité d’opinions.

Que faire ?

Au bout de trois semaines, tout le monde était lassé de cette divergence d’opinion, et il fut convenu à l’unanimité – tant pour mettre fin à certains étalages d’egos que pour faciliter les décisions – que le programme des journées serait systématiquement pris en tirant à pile ou face les diverses propositions en présence.

Eh bien, j’estime que nous n’avons pas eu à le regretter.

On fait la liste des propositions, tirées ou non du Livre, et pour chacune le sort décide.

Il ne restait plus qu’à mettre en ordre l’agencement de ces propositions, et à vérifier leur compatibilité a priori :

ça, ce fut le rôle d’un trio tiré lui aussi au hasard, différent chaque jour.

Bon, il y eut quelque couacs, mais malgré tout, j’estime que la démocratie au sein d’un groupe se grandirait si l’on procédait de la sorte.

A la réflexion, les débats sur des conduites à tenir ne sont-ils pas souvent piégés – et même entretenus !- par la volonté qu’ont certains de gouverner.

Quelques débats d’idées ont aussi vu le jour.

Nous avons expérimenté une méthode exposée dans le Livre selon laquelle les échanges par oral n’interviennent dans un premier temps que pour compléter ce que chacun des participants a préalablement formulé par écrit, et qui est supposé avoir été lu par tous avant le début de la séance.

En effet, selon cette méthode, le débat oral se passe en deux temps : d’abord, on questionne l’auteur, pour prendre le plus intensément possible connaissance de ce que chacun a voulu exprimer, puis vient la discussion proprement dite.

Nous avions poussé jusqu’à organiser ces deux temps à une semaine d’intervalle.

Pas mal productif !

Le couplage écrit/oral pour le premier temps a beaucoup aidé à comprendre ce que chacun avait à dire.

Bien entendu, l’écrit était entièrement rédigé dans la langue-cible.

Pour finir, je vais aborder le rapport entre O/A et stagiaires.
Ce qu’il était concrètement,
et ce qu’il était symboliquement.

J’ai dit que le gouvernail était entre les mains de O/A les deux premiers jours.

Pour nous mettre dans le bain, il y avait aussi le fameux Livre contenant des propositions et des méthodes, mais surtout la Loi.

Tous les articles de cette Loi figurant par écrit dans ce document ont été adoptés, à l’écrit également, par chacun des membres du groupe.

Ils ne disaient pas, par exemple, ‘Je m’engage à être présent etc.’

mais ‘Je sais que ma présence est attendue, etc.’.

J’ai noté que cette Loi ne faisait référence à aucune ‘valeur’ abstraite, et je m’en suis vivement réjouie.

Même s’il était loisible de la modifier autant de fois que souhaité, cette Loi ne reçut quelques modestes modifications et compléments qu’au bout d’une semaine, puis à nouveau au bout de trois semaines, pour l’adapter plus finement aux caractéristiques particulières de ce groupe.

Prétendre que cette Loi – comme toutes les lois – n’a jamais été transgressée serait mentir.

Mais, pour autant, jamais les O/A ne sont intervenus par oral pour jouer aux chefs, ni même pour rappeler tel ou tel article de la Loi.

Leur attitude n’a laissé aucun doute sur leur volonté de favoriser l’autonomie du groupe.

Je dirais même qu’ils ont développé beaucoup d’efforts pour éradiquer de nos têtes toute image de figure tutélaire.

Par ailleurs, à notre demande, ils sont intervenus une fois toutes les deux semaines environ pour nous donner leur vision de notre groupe, en tant qu’observateurs plus ou moins extérieurs.

Une fois, ils nous ont d’ailleurs engagés à mettre en œuvre la recommandation du Livre de scinder de temps en temps le groupe, grand ou petit, en deux : une partie est d’abord ‘le groupe’ et l’autre ‘les observateurs’, puis on inverse les rôles, puis on met les observations en commun.

A l’usage, c’est là un bon moyen de s’obliger à utiliser la langue-cible pour parler de ce qui nous concerne au premier chef.

Sur le plan considéré comme ‘pédagogique’ au sens restreint de ce terme, les O/A ont joué les didacticiens, psychologues, conseillers et superviseurs des uns et des autres, en plus d’être de bons connaisseurs des deux langues.

Mais uniquement à la demande.

Pour reprendre une blague courante durant le stage, les jours où une rébellion semblait s’annoncer :

« C’est eux qu’on paie, mais c’est quand même nous qui faisons le boulot ! »

Le bilan final s’est effectué de la manière suivante :

chacun de stagiaires s’est exprimé longuement en public, dans sa langue-cible bien entendu, en s’adressant imaginairement à la personne à laquelle il était supposée écrire quotidiennement par le biais de la mailing-list :

rappels de certains évènements, ce qui lui a plu ou pas plu, fait progresser ou non, les moments difficiles, etc. ;

ensuite, quelques questions pouvaient lui être posées, comme si elles étaient posées par la personne destinataire du bilan personnel.

Et voilà l’aventure.
Un stage plus classique de deux mois aurait-il eu le même effet ?
Je n’arrive même pas à l’imaginer.

Deux caractéristiques me paraissent majeures :

1- les paroles que nous prononcions étaient de ‘vraies’ paroles, qui nous impliquaient réellement,

2- et, expérimentées dans telle ou telle activité, elles pouvaient être utilisées quasi-immédiatement dans une nouvelle circonstance.

Si l’école pouvait, demain, s’en inspirer !!!

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Et
Assange
?