désinformation – Nettoyeurs : La presse mainstream
« L’homogénéité médiatique d’hier créait une sorte de torpeur. Celle d’aujourd’hui est caractérisée par la peur. Peur du terrorisme, de l’islam, de l’extrême droite, de la désinformation, du « politiquement correct », de la Russie, des vaccins.
Les colporteurs de panique occupent le terrain.
Car la montée aux extrêmes sur des sujets très balisés (insécurité, voile, discriminations) n’épargne pas la presse modérée.
Hier assise sur la manne publicitaire, elle recherchait une audience de masse qu’elle cajolait en simulant l’objectivité.
Dorénavant, elle aussi prospère en alimentant des guerres culturelles auprès de publics polarisés.
Les fausses nouvelles deviennent alors un problème, une obsession, puisque l’exclusivité de leur diffusion échappe désormais à ceux – journalistes et responsables politiques – qui en détenaient le monopole.
Disqualifiés pour avoir relayé trop ouvertement la pensée de marché, les grands médias modérés espèrent être réhabilités en prenant les habits de vérificateurs de la vérité.
Pourtant, en matière de propagande et de fausses nouvelles, difficile de faire plus percutant que la guerre d’Irak et le bobard des « armes de destruction massive » qui la justifia, ou le « Russiagate » qui, à coups d’assertions mensongères sur une collusion entre le président russe et son homologue américain, consuma la présidence de Donald Trump.
Or, dans un cas comme dans l’autre, les principaux pourvoyeurs d’informations paranoïaques ne furent pas des désaxés opérant depuis l’Ukraine dans les profondeurs du web, mais le New York Times et le Washington Post.
C’est-à-dire deux quotidiens trustant les prix Pulitzer et diffusés dans le monde entier auprès d’une bourgeoisie pétrie de culture et de civilité.
Deux journaux dont les médias français « de qualité » ne cessent de suivre les pas, même si ceux-ci ont mené à des opérations de manipulation à côté desquelles celles des complotistes présumés s’apparentent à de l’artisanat.
Les barons de l’information cités dans ce livre ont qualifié de « délation » le simple rappel de leurs propos publics, et de théorie du complot la mise en cause de leur rôle au service de l’ordre social.
Le journaliste, objectait par exemple Philippe Tesson, joue un rôle « second » dans la stabilité du capitalisme, celui d’un « simple agent de transmission ».
Remettre en cause ce système social revenait donc selon lui à se défier de la démocratie puisque les détenteurs du pouvoir politique étaient élus et que les pouvoirs, économiques comme médiatiques, dépendaient de la demande des clients.
Soudain, cette admirable transparence qui ignore les effets de domination, de monopole ou de propagande a cessé d’être mise en avant.
Le ton est devenu plus âpre, les mesures de censure et de coercition plus nombreuses, la liberté d’expression moins défendue.
Les mêmes refusaient aussi d’admettre qu’ils profitaient d’un conditionnement médiatique en objectant que l’émission d’un message ne disait rien de sa réception, filtrée par l’intelligence des citoyens.
Mais sitôt que ceux-ci s’avisent de « mal » voter, leur intelligence présumée s’est évaporée.
Et ils deviennent un troupeau de jobards manipulés par des clips russes de très médiocre qualité.
La mise en avant de « théories du complot » et l’idée d’un rapport étroit entre état de l’opinion et propagande débarquent alors dans le camp de ceux qui en réservaient l’exclusivité aux procureurs du journalisme de marché.
Aujourd’hui, le pouvoir et ses relais multiplient donc les instruments de « décryptage », les instances de vérification, les filtres de contrôle.
M. Macron a même fait voter une loi contre les « fake news », autrement dit contre la désinformation non homologuée par les services de l’Élysée et par les organes de presse qui leur servent de relais.
Son texte ne sanctionne donc ni l’homogénéité idéologique et sociale des éditorialistes, ni l’intoxication publicitaire, ni les renvois d’ascenseur entre journalistes, ni la détention des médias par des milliardaires amis du président de la République.
La question essentielle de la démocratisation de l’information, c’est-à-dire la fin du monopole bourgeois sur celle-ci, n’est en effet presque jamais soulevée.
Cette exigence, qui l’exprime aujourd’hui ? »
Serge Halimi – Préface à la récente réédition de « Les nouveaux chiens de garde »