Dan, le jeune voisin d’en face, habitué aux 16, 17, 18 et plus, s’offusqua tant le jour où il se paya un vilain 13 au bac, qu’il se fit chercheur.
Que pensez-vous qu’il découvrit ?
Que, dès les années 1930, la notation des épreuves du baccalauréat fit l’objet d’une célèbre recherche.
A cette époque, la commission française pour l’enquête Carnegie réalisa, paraît-il, des analyses statistiques sur les notes en soumettant à 5 correcteurs, 100 copies dans 6 disciplines.
Les résultats de cette recherche mirent en évidence de forts écarts de notation entre les différents correcteurs dans les disciplines littéraires, mais aussi, de façon moins marquée, dans les disciplines scientifiques.
A niveau de compétences identique, conclut Dan, les élèves sont donc évalués différemment par leurs enseignants. Cette recherche a également permis de souligner l’incertitude du jugement professoral car environ 30% des candidats pouvaient être admis ou ajournés selon la composition du jury.
Et tu crois sans doute qu’un même correcteur est fidèle à sa pratique en matière de notation ?
On sait depuis longtemps (1935) qu’il existe des phénomènes de variations importants relevés dans la constance des corrections d’un même examinateur dus à différents facteurs liés au correcteur lui-même (fatigue, distraction etc…), mais aussi au contexte de correction, dont l’ordre de correction des copies.
Tiens, écoute ceci : au cours d’une expérience, il fut demandé à des profs de noter les mêmes copies d’élèves à 6 mois d’intervalle.
Eh bien, souvent pas du tout les mêmes notes, figure-toi.
– Je ne te crois pas ! c’est pas possible, c’que tu me racontes là !
Il me montre donc d’autres résultats :
Trois copies d’élèves ayant passé le bac (en juin 2006 et en juin 2007) ont été soumises à la correction de trente-quatre profs de sciences économiques et sociales.
Ceux-ci devaient attribuer une note à chacune des trois copies.
Les copies étaient choisies de sorte à avoir une copie d’un « bon » niveau (note obtenue au bac : 15) et deux copies jugées moyennes (une copie ayant obtenu 9 au bac, et une copie ayant obtenu 11).
– Lis verticalement.
N° de correcteur / Note copie 1 / Note copie 2 / Note copie 3
1 . 6 / 9 / 10
2 . 7 / 6 / 10
3 . 12 / 7 / 14
4 . 7 / 5 / 14
5 . 11 / 15 / 13
6 . 8 5 17
7 . 7 9 15
8 . 11 7 14
9 . 7 12 8
10 . 8 11 11
11 . 8 13 12
12 . 7 12 15
13 . 15 8 17
14 . 11 9 13
15 . 11 14 9
16 . 8 6 15
17 . 6 16 11
18 . 14 8 12
19 . 11 7 14
20 . 13 7 9
21 . 5 10 14
22 . 9 12 13
23 . 8 9 14
24 . 9 6 17
25 . 6 8 11
26 . 10 9 13
27 . 8 8 11
28 . 7 9 14
29 . 9 6 13
30 . 7 10 16
31 . 7 9 18
32 . 9 8 12
33 . 10 8 13
34 . 6 8 9
– Selon moi, me dit-il, la notation est ce qui fait tenir tout le système.
– Tu exagères !
– Pas du tout ! si son principe n’était pas admis à la fois par les profs, les parents, les élèves et puis, bien sûr, par tout l’appareil monstrueux qui les englobe, que penses-tu qu’il arriverait ?
– Je ne sais pas, on inventerait autre chose…
– Détrompe-toi : absolument rien n’aurait la même force de conviction. Tout s’écroulerait ! Et quand je dis ‘tout’, je dis bien ‘tout’.
Ce pauvre Dan me semble filer un bien mauvais coton…
– Essaie maintenant de comprendre pourquoi l’on nous a asséné tant de preuves par les chiffres durant ce satané covid.
– Euh ! Après cette douche, permets-moi, Dan, de prendre un peu de temps avant de te répondre…