Gaza
Je lis ceci :
« C’est à Franz Fanon que nous devons une grande partie de ce que nous savons sur la violence coloniale – en particulier sur le fait qu’elle agit comme une blessure à la fois physique et psychique. Psychiatre martiniquais ayant participé à la lutte de libération pour l’indépendance de l’Algérie sous la domination coloniale française, il a longuement expliqué comment l’immensité et la durée de la destruction infligée aux sujets colonisés entraînent un vaste et profond processus de déshumanisation qui, à un niveau aussi profond, compromet également la capacité des colonisés à se sentir entiers et à être pleinement eux-mêmes, des humains parmi les humains. Dans cet état de blessure physique et psychique, la résistance est la seule possibilité de réparation du sujet colonisé. Cela a été le cas historiquement dans tous les contextes de libération de la domination coloniale, une lignée à laquelle appartient la lutte palestinienne.
C’est dans cette optique qu’il faut voir la résistance palestinienne de longue durée des 75 dernières années, et c’est aussi la clé pour comprendre les événements sans précédent de ces derniers jours. Ceux-ci sont le résultat, comme l’ont noté de nombreux observateurs – y compris israéliens – de l’échec des nombreuses formes de résistance pacifique que les Palestiniens ont réussi à mettre en œuvre, malgré l’occupation, et qu’ils continuent de mettre en œuvre : les grèves de la faim des prisonniers en « détention administrative » ; la résistance civile des villageois de Bil’in ou de Sheikh Jarrah qui sont coincés entre le mur de séparation, l’expropriation des terres et des maisons, et étouffés par l’expansion de plus en plus agressive et inarrêtable des colonies ; les efforts pour protéger l’environnement naturel et la culture palestinienne indigène, y compris les oliviers centenaires si souvent brûlés et vandalisés par les colons ; les organisations de la société civile palestinienne qui recensent et signalent les violations des droits de l’homme – ce qui en fait, pour Israël, des organisations terroristes ; la lutte pour la mémoire culturelle et politique ; l’endurance des réfugiés dans les camps de réfugiés qui attendent la mise en œuvre de leurs droits fondamentaux soutenus par les résolutions des Nations unies, ainsi que la réparation et la reconnaissance de leurs longues souffrances ; et, plus loin dans le temps, les pierres lancées en guise de résistance pendant la première Intifada, lorsque des jeunes gens munis de lance-pierres leur ont renvoyé ces mêmes pierres avec lesquelles les soldats israéliens leur ont brisé les os et la vie.
Rappelons qu’à Gaza, les moins de vingt ans, qui représentent environ la moitié de la population, ont déjà survécu à au moins quatre campagnes de bombardements, en 2008-9, en 2012, en 2014, et à nouveau en 2022. »