Un peu étrange et tout à fait naturel

école

Un ange m’est apparu cette nuit, qui semblait bien au courant de mes réflexions incessantes sur l’école, le bougre…
– Le scolaire semble être ton idée fixe, La Docte…
– Oui, c’est pas faux, ma foi.
– Et tu tournes en rond, non ?
– Pas exactement : il arrive que de nouvelles lueurs se fassent jour.
– Hum… pourtant, ça n’avance pas très vite… J’ai pensé te fournir ma contribution ; tu es preneuse ?
– Est-ce donc aussi ton idée fixe, l’école ?
– Pas faux, ma foi.
– En ce cas, OK. Si tu as des lumières…
– Précision : j’mets pas de copyright dessus.
– Ce qui veut dire que j’en ferai ce que je veux ?
– Non, juste ceci : si tu en fais usage, tu devras indiquer de qui ça provient.
– Eh ben, ça m’va.
– Figure-toi que c’est exactement le sens de ma contribution elle-même, mais sous une forme inversée.
– Moi pas comprendre.
– Ce que tu as appris à l’école, tu n’as pas à indiquer où tu l’as appris : c’est du domaine public, sans géniteur, non ?
– Exact.
– C’est du « ça va de soi ». Du « sinon tu es dans l’erreur ».
– Je dirais plutôt : « tu es fautif ! ».
– Très juste ! As-tu noté que cette notion de faute est centrale ?
– Tu vas me dire que la Chute a déjà eu lieu, et qu’à tout moment il s’agit d’éviter son ornière ?
– Justement, regarde le personnage de L’ornière, de Hermann Hesse : ayant quitté l’école, il est mal en point et finit noyé.
– Il défroque et finit mal, oui…
– Pour éviter ce désastre, il eût dû rester au service de l’école.
– Au service de l’école ?
– L’école prépare les humains à être « au service de » ; peu importe de qui ou de quoi.
– Elle corrompt les individus, c’est ça ?
– Un peu ça, oui, les individus doivent sentir que leurs intérêts sont naturellement ceux de l’institution, et des institutions.
– Si on inverse la formule lénifiante de « conflits d’intérêts », le produit de l’école ne doit avoir aucun conflit d’intérêt avec elle et son monde, c’est ça ?
– Mais ça va plus loin que « corrompre ».
– C’est déjà beaucoup, corrompre…
– Oui, mais il est nécessaire de pousser d’un cran, car la corruption, c’est passible des tribunaux.
– Et il y a une solution pour éviter l’illégalité ?
– Oui, c’est de former des serviteurs.
– Entre « corrompu » et « esclave », « serviteur » c’est pas mal : ça ne choque personne.
– L’ingénieur sera au service de l’Immortelle Lateqnik, le juriste au service du Dieu Lordre, la secrétaire au service du patron, le prof au service du demi-dieu Lécol, etc.
– Faut dire que ça enlève aux individus beaucoup de soucis. Je pense à ce pauvre personnage de Hesse.
– Et sais-tu, La Docte, comment l’école parvient à calmer les individus qui pourraient en espérer mieux ?
– Il existe toute une panoplie de moyens, me semble-t-il.
– Eh bien, le but de ma visite de cette nuit est de mettre le doigt sur le moyen fondamental, celui dont découle tous les autres.
– J’avoue que, après des années de rumination sur ce sujet, je suis bien incapable de le désigner clairement.
– Je sais. C’est même pour ça que je suis venu.
– Merci d’avance.
– As-tu remarqué qu’à l’école on apprend principalement des choses que l’on ne pourrait pas apprendre par soi-même.
– Sauf dans des écoles alternatives…
– Ces écoles essaient de contourner cet impératif, mais elles en restent prisonnières.
– C’est vrai que l’Histoire nous enseigne ce qui a eu lieu quand nous n’étions pas né. C’est Monsieur Barthes qui a écrit « Comme âme vivante, je suis le contraire même de l’Histoire ».
– Et en Mathématiques, ce sont des raisonnements qu’aucun des élèves, pas même le meilleur, ne pourrait tenir seul, même en y consacrant toute sa vie.
– Pas faux.
– L’école te fait comprendre que tout ça va de soi. Et ça n’est efficace que parce qu’il n’y a pas de copyright là-dessus.
– Oui, ça doit apparaître comme tombé du ciel.
– Le moule-école doit rester invisible, comme les moules de tous les produits industriels que tu utilises, non ?
– Oui, j’ignore à peu près tout de ces produits qui viennent à mon service. Je ne peux rien savoir des moules qui les produisent.
– Et tu dois, normalement, trouver ça normal.
– Je pense à ce passage d’une nouvelle de Vercors « à la manière des chevaux, qui semblent toujours trouver ce qu’on leur demande à la fois un peu étrange et tout à fait naturel ».
– Imagine que l’école se contente d’aider l’élève à élever d’un cran ce qu’il peut apprendre lui-même de sa pratique.
– Eh ben, oui, y a plus d’ornière. Je suis d’accord.
– Allez, je te laisse. Dors encore un peu, ça te fera digérer mes propos. Et n’oublie pas de préciser : « Un ange m’est apparu cette nuit, etc. »

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