Technologie vs Autonomie

incertaines et timides notes

L’australienne Commission for Human Future met en lumière les risques majeurs auxquels l’humanité est tout entière exposée en ce début du XXIème siècle …et que nous peinons contre toute évidence à envisager comme un seul et même ensemble !
Quand elle affirme qu’on n’y pourra quelque chose qu’en changeant de système, son propos fait écho à un lanceur d’alerte de la fin du XXème : Ted Kaczynski, l’Unabomber états-unien.
Par ces temps où le numérique nous grignote personnellement un peu plus chaque jour – télé-enseignement bricolé, usage de l’internet pour un oui ou pour un non, achats en ligne, détection des porteurs du virus, télécontrôle de la température de chaque piéton, collecte de données à une échelle monstrueuse par les GAFAM, télésurveillance du télétravail, etc. – il est utile de relire le Manifeste que publia cet auteur en 1995 : Industrial Society and its Future ou, plus court, ce montage d’extraits.

Ses phrases sur le devenir de la technologie étaient assurément prémonitoires.
Mais il ne fut pris au sérieux que par une poignée de ses homologues hautement diplômés, dont on était pourtant en droit d’attendre plus de clairvoyance.
Lorsque, pour introduire son exposé, il développait sa thèse sur le « besoin de pouvoir », il me semble que Kaczynski désignait un ressort fondamental des comportements humains (même si l’on est fondé à estimer son approche très approximative).
C’est à partir de cette thèse que je propose ici de réfléchir.

L’humanité est enserrée dans un système de pouvoirs dont l’extension et la nature mettent à l’épreuve nos capacités d’entendement.
Nous tentons de l’éclairer, ne serait-ce que pour le combattre, mais nous sommes souvent à la peine :
Une infime minorité s’en met plein les poches en raison de sa puissance, exprime-t-on,
ou Les démocraties ne sont pas démocrates,
ou Les pouvoirs politiques renforcent les pouvoirs économiques et inversement,
ou L’argent peut tout se permettre, etc.

Lisant Kaczynski, j’en viens à me demander si on ne pourrait pas imaginer que, en matière de pouvoir tout comme en matière d’énergie, « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : l’accroissement des pouvoirs dans une région du système serait, en ce cas, à la mesure de – voire le résultat de – la perte de pouvoirs dans une autre région du même système. Il y aurait, en somme, un « pouvoir humain », dont la répartition serait en mouvement.
Selon cette hypothèse, ce sont ceux dont le pouvoir diminue qui procureraient leur force aux puissants Dracula. Peut-être, donc, n’est-ce pas en s’épuisant à attaquer ceux-ci que du pouvoir peut être recouvré par les démunis : le rééquilibrage pourrait s’opérer par la conquête de pouvoirs sur des terrains plus fertiles que celui d’un désespérant combat.
Quand de modestes territoires s’organisent pour faire face aux difficultés d’approvisionnement créées par le confinement antiviral (Brigades de solidarité populaire, p.ex.), leur priorité n’est pas de dénoncer les carences en tous genres des gouvernants : ils s’organisent tout simplement de manière autonome, comme cela se passe régulièrement en cas de catastrophe. Donnant vigueur à leur autonomie – la « vraie liberté » selon C. Castoriadis -, ils en expérimentent l’existence, ordinairement occultée.
La perte progressive de leur pouvoir des origines par la majorité des humains est le processus qui, selon Kaczynski, rend les sociétés cruelles, criminelles et de plus en plus invivables, jusqu’à ce que, littéralement, l’humain y soit déshumanisé, dénaturé.
Pour en revenir au numérique, notre perte d’autonomie s’aggrave au fur et à mesure que les circonstances s’y prêtent : à la faveur du Covid19, nous sommes une fois de plus poussés à nous laisser appareiller …dans notre intérêt, nous est-il dit. Eh oui, bien sûr, nous préférons rester saufs plutôt que mourir étouffés !
C’est ainsi que, s’attablant à notre complaisance, l’ogre numérique poursuit son festin !
À vrai dire, nous n’imaginons même pas ce que serait un monde où, tant individuellement que par petites collectivités, nous jouirions de réels pouvoirs sur ce qui serait authentiquement nôtre.
L’imaginaire personnel est-il spontanément porté dans cette direction ? S’organise-t-il des séances publiques de brainstorming à ce sujet, comme existe « naturellement » des compétitions sportives, des combats de coqs, et ce genre de réjouissances ? Existe-t-il un domaine de création de fictions qui explore « plein pot » cette perspective ? L’école éduque-t-elle en ce sens ?
Même en tentant de nous affranchir des oppressions de toutes sortes, en luttant contre elles, nous nous attachons habituellement aux fers par lesquels notre capacité de pouvoir se laisse amenuiser, voire épuiser. Si, par exemple, le lecteur envisage l’espace d’un instant de se passer d’internet (ce à quoi il pourrait peut-être, un jour, se voir contraint), il écartera bien vite cette hypothèse au motif qu’une part importante de sa « liberté » serait ainsi détruite.
Dans le système productiviste-guerrier que nous connaissons, il n’est pas certain que le « pouvoir humain» soit aujourd’hui majoritairement aspiré par les artificiers criminels de la finance : la technologie ne mène-t-elle pas le monde, y compris la finance ? L’embrigadement par le numérique vient à tout le moins conforter l’embrigadement par le fric.
La phrase de Kaczynski « La différence entre un système techno-industriel « démocratique » et un contrôlé par des dictateurs est infiniment moindre que celle entre un système techno-industriel et un qui ne l’est pas » est assurément choquante à première vue.
Mais à la réflexion ?
Bien sûr, la technologie ne se réduit pas au numérique, même si celui-ci tend à devenir le facteur de production économique majeur.
Il me revient en mémoire un séjour dans une ville d’un pays très pauvre qui, ce jour-là, était privée d’électricité. Nous, visiteurs, étions désemparés car nous « devions » absolument retirer de l’argent pour poursuivre notre voyage. Comme dans un rêve, bien différente était l’attitude des habitants de cette ville, tous accoutumés à ce que le courant fasse défaut.
Je me demande si la détechnologisation ne pourrait pas passer – aussi – par l’élaboration, au plus près du terrain et à toute petite échelle, de solutions de rechange au cas où la technologie majeure fait défaut.

Et – j’y pense – faut-il attendre que la société tout entière ait choisi une alternative aux énergies fossiles, ou que nous ayons nous-même cher payé des équipements personnels écologiques et autonomes (s’ajoutant évidemment à un potager bio et tout ce qui s’ensuit) pour nous équiper individuellement d’un minuscule capteur solaire hors réseau (0,3 m², p. ex.) alimentant normalement – c’est-à-dire quotidiennement, hors tout problème de réseau – quelques lampes et appareils en 12 volts ? Un simple symbole ? Pas sûr !

Ce serait quoi, les multiples chemins bariolés nous conduisant à reglinguer les parts subtilisées de notre «pouvoir humain » ?

Ce que je viens d’exprimer a-t-il quelque chose à voir avec les risques majeurs que pointe la Commission for Human Future : diminution des ressources naturelles, en particulier de l’eau, effondrement des écosystèmes, réduction de la biodiversité, croissance de la population humaine au-delà de ce que la Terre peut supporter, réchauffement climatique et changements climatiques induits par l’homme, pollution chimique du système-Terre y compris de l’atmosphère et des océans, insécurité alimentaire croissante, qualité déficiente de la nourriture, armes nucléaires et autres armes de destruction massive, pandémies de maladies nouvelles et incurables, avènement de nouvelles technologies puissantes et incontrôlées, incapacité nationale et mondiale à comprendre et/ou à agir préventivement sur ces risques ?
Eh bien, j’ai l’intuition que oui.
Au motif que mon petit capteur solaire va « sauver la planète » au sens écolo de cette expression ?
Bah non ! J’suis pas magicien !
C’est parce que refuser les compteurs électriques plus sophistiqués – oui, c’est prudent, je ne le nie pas – ne suffit pas pour se tenir en retrait de la machinerie : la fée électricité-en-réseau a bien d’autres tours dans son sac !
Ah, ironisera-t-on, tu espères donc que ton p’tit truc atteigne la bête au cœur ?
Eh bien, en complément d’autres p’tits trucs à inventer pour exercer consciemment, toi et moi, un p’tit chouia de plus + un p’tit chouia de plus de pouvoir sur ce qui est nôtre, oui, ça peut lui grignoter les coronaires !
Une branche, ça casse. Un fagot de branches, ça résiste. Un fagot de fagots de branches, ça impose sa loi.
Mais je ne prétends pas qu’être consciemment fagoté suffise… Si j’en venais, un jour, à proposer LA solution, j’espère que quelqu’un sera assez aimable pour retirer ma voix de la circulation…

Écrit à 1,5m de ma plus proche voisine, en ce Tout Premier Jour du Tout Premier Déconfinement du Siècle XXI

De quoi d’autre,
qui soit à la fois délibérément anti-réseau
ET
à notre portée personnelle ou de petite collectivité,
pouvons-nous nous occuper activement à présent, càd dès avant le jour d’après ?

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J’aime me poser des questions, et j’ai des convictions : les deux marchent de pair !

Mes billets, au jour le jour, s’ajoutent à pas mal de mes écrits anciens…

Aujourd’hui, je suis aussi l’éditeur de desinfo.

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