L. est nomade comme moi. Un jour l’envie lui a pris de se semi-sédentariser. Pourquoi ne pas poser une yourte dans la nature ? Pas chère à l’achat, encore moins chère si l’on prête main-forte aux professionnels qui la réalisent, avait-il entendu dire.
Il était, somme toute, dans l’air du temps…
Et il ne tarda pas à trouver un lieu correspondant à ses vœux. Chance : l’agriculteur à qui appartenait le terrain convoité ne l’exploitait ni n’avait l’intention de le faire. Le louer ? Ils tombèrent d’accord.
La suite allait se montrer autrement plus corsée ! Une yourte, en effet, si elle est implantée plus de trois mois d’affilée, exige un permis. Pas ‘de construire’, – puisqu’il s’agit non d’une construction mais d’une installation – mais un permis tout de même. L. allait ainsi – comme tant d’autres, apparemment – découvrir le véritable labyrinthe administratif que doit parcourir, s’il en a la force, tout candidat à un habitat simple. Beaucoup abandonnent.
Quémander une autorisation ? Ce fut la première intention de L. Il se rendit vite compte qu’existe tout un arsenal de motifs à la disposition d’un maire ou d’une administration refusant d’autoriser ce genre d’habitat. Précisément dans le département où se trouvait ‘son’ terrain, L. découvrit que, au nom d’une lutte ‘anticabanisation’, moult institutions venaient de se liguer pour éradiquer ce qu’elles qualifiaient d’habitat indigne. Pensez donc : un logement sans toilettes dévoreuses d’eau potable, c’est à coup sûr ‘indigne’.
Implanter sa yourte sans autorisation ? Certains le faisaient apparemment. Il y en avait même qui parvenaient à mettre le droit de leur côté en atteignant le délai de prescription. Mais d’autres exemples ne poussaient vraiment pas à la sérénité : alors même que toute une commune voisine, conseil municipal en tête, le soutenait, un couple de ‘yourtiens’ se voyait condamné à abandonner son habitat – logement, potager, etc. – en grande partie auto-construit.
Début de découragement chez L. Pourtant, l’idée continuait de faire tranquillement son chemin. Durant près de deux ans, L. se mit à rencontrer des personnes et des groupes impliqués dans des situations comparables. Quelques réussites, certes, mais le reste : d’ubuesque à cauchemardesque ! En tout cas, désespérant.
Un beau matin, alors qu’il visitait à nouveau ‘son’ terrain, les choses commencèrent de lui apparaître sous un autre jour. Un Grenelle de l’Environnement n’était-il pas passé par là ? Parallèlement, l’information ne devenait-elle pas abondante quant aux nouvelles manières d’appréhender l’approvisionnement en eau, l’équipement en énergie, le traitement des eaux usées, etc., tous points sur lesquels s’étaient appuyés maints refus d’autorisation pour l’habitat simple ? Une évolution ne se dessinait-elle pas parmi des décisionnaires au sein d’institutions ? L’époque devenait favorable à une révision des normes. La pression augmentait également du côté de personnes recherchant un ‘habitat groupé’ basé sur une éthique commune. En patientant quelques années encore, il y avait de fortes chances qu’un projet comme le sien ne fasse plus peur.
De même qu’il existe une offre pléthorique de terrains de camping à la disposition des vacanciers disposant d’une tente ou d’une caravane, en était venu à se dire L., pourquoi n’existerait-il pas bientôt une offre de terrains pour un habitat à l’année, selon des normes adaptées à l’habitat simple ? Certes, avait-il appris, de tels terrains existent, à l’intention de gens du voyage, nommés ‘terrains familiaux‘. Pourquoi la réglementation n’étendrait-elle pas à quiconque un tel droit d’aménager ? Pourquoi ne pas envisager un ‘droit d’occupation du sol’ bien différent des permis de construire ?
Et voilà notre L. en train, ce beau matin-là, de se dire que, après s’être frotté à diverses situations dans lesquelles se trouvent des ‘demandeurs d’habitats simples’, il était temps pour lui de rencontrer d’autres types de personnes ou d’institutions aptes à concocter, cette fois, une offre en bonne et due forme à l’intention de ces demandeurs.
Qui donc ? Des agriculteurs comme celui avec qui il avait déjà passé un accord, par exemple. En envisageant avec eux le parti qu’ils pourraient tirer – dans la situation d’incertitude dans laquelle se trouve plongée l’agriculture ‘pétrolière’ prévalant depuis un demi-siècle dans ce pays – d’une activité complémentaire répondant au besoin de plus de nature dont font preuve les urbains. L’habitat simple étant, selon L., en phase avec ce besoin.
Mais aussi des collectivités locales. Un coin de forêt communale peut se montrer adapté à de telles implantations. Or de plus en plus d’élus se montrent convaincus non seulement que des modifications de nos modes de vie ‘pétroliers’ sont indispensables volens nolens, mais aussi que l’habitat simple constitue une opportunité extraordinaire pour répondre aux besoins de logement dans ce pays.
J’écoute l’argumentation enflammée de L. Même si je ne suis pas le mieux placé pour en juger, je lui trouve beaucoup de bon sens. J’en viens même à me dire que j’observerais bien les résultats d’une telle évolution, car l’envie de me semi-sédentariser pointe aussi chez moi le bout de son nez… Et pourtant, j’hésite à partager ce bel optimisme : décourager n’est-il pas – avec faire peur – un moyen confortable de gouverner ? Même si, à trop décourager, un pouvoir peut en venir à exaspérer, il peut toujours espérer que cette exaspération demeure muette.
Quelles formes exactes pourraient prendre donc ces ‘offres d’habitat simples’ ? A cette question, L. me répond : ‘Prouvons le mouvement en marchant. L’aventure ne fait que commencer !’