Une ville à la campagne

L’élu d’un département voisin concocte, lui, un projet de toute autre envergure, et autrement culotté : faire surgir en plein désert une ville nouvelle !

Attirer des habitants, condition pour que se maintiennent de ci-delà quelques écoles, n’est pas toujours aisé selon les voies habituelles. Qu’à cela ne tienne, sortons-en ! a-t-il fini par se dire.

Et comment !

La dimension optimale de ’sa’ ville, à l’échéance de huit à dix ans après le premier coup de pioche, est de 12 000 habitants. Elle serait établie autour d’une usine de montage de véhicules d’un type nouveau dont la propulsion sera assurée par un moteur à air. Rien à voir avec les moteurs Pantone, dits à eau. Ici, c’est d’air comprimé qu’il s’agit. Les principes qui guident les franchiseurs d’usines de production de ces véhicules ont attiré l’attention de l’élu, la rencontre a eu lieu, le tour de table financier ‘pour voir’ est en cours. Restait l’interrogation : comment trouver les ouvriers et autres compétences nécessaires ?

– Nous les ferons venir.

– ça ne se fait pas en claquant les doigts, que je sache !

– Primo, des gens en recherche d’emploi, dans un périmètre de cinquante kms, il y en a !

– Les déplacements ne sont plus très bien vus…

– Eh bien, justement : l’enjeu est là. Nous voulons – non pas loger le personnel – mais lui proposer d’habiter sur place. Pour cela, pas d’autre solution que de créer une ville nouvelle.

– Une ville à la campagne ?

– Oui, quelque chose comme ça, car l’enjeu sera de garder les attributs campagnards.

– Le principe est aisé à énoncer, et de surcroît attractif, mais en réussir la réalisation ! ça s’est déjà fait ?

– Peut-être le saurons-nous en cherchant davantage, mais pour le moment nous n’avons rien trouvé de ce genre.

– Concrètement, avez-vous déjà énoncé quelques orientations majeures ?

– Nous y sommes attelés. Primo, l’exploitant qui sera retenu devra privilégier les emplois à temps partiel : mi-temps, tiers-temps, etc. C’est ainsi que nous espérons attirer aussi d’autres personnels que les demandeurs d’emploi de la région. Notre pari est que, aujourd’hui, des tas de gens – y compris de niveaux de compétences élevés – sont en recherche de conditions de vie alternatives. Qu’un ingénieur ou un avocat s’embauche pour travailler à la chaîne ne sera pas à exclure. Le temps partiel en est la condition, puisque selon nous, le salaire ainsi obtenu permettra de faire face aux besoins monétaires élémentaires. Secundo, l’existence dans la nouvelle ville doit – indépendamment de l’usine, cette fois – permettre de satisfaire d’autres besoins élémentaires : l’alimentation, par exemple. Pour ce qui est du logement, il s’agira d’une véritable révolution puisque les normes habituelles seront rendues complètement obsolètes.

– Une ville extraterritoriale, en somme ?

– Quelque chose comme cela, oui. Une ville avec statut de ville expérimentale en tout cas.

– Concrètement, pour ce qui concerne l’habitat…

– Eh bien, une forte dose d’auto-construction, par exemple.

– Vous comptez sur l’attractivité de la ville à la campagne pour réunir la main-d’œuvre nécessaire à la fois pour l‘usine et pour la construction de la ville, c’est cela ?

– En effet. Des tas de gens en rêvent, et gardent leur rêve sous cloche, car les situations habituelles présentent trop d’obstacles. Il faut partir de zéro.

– J’ai quelque peine à voir comment les aménagements et équipements collectifs trouveront à se faire financer en période dite de crise.

– Les villes du far-west américain se sont construites en périodes d’abondance, croyez-vous ? De toutes manières, crise ou pas – et même surtout en période de crise, dirais-je – des moyens de financement inhabituels sont à portée de mains.

– Puisque vous le dites… Premiers coups de pioche, quand ?

– Dès que le tour de table au sujet de l’usine est terminé. S’il échoue, ça nous aura tout de même bien fait phosphorer, et cela m’étonnerait fort qu’il n’en sorte pas quelque chose d’un peu hors normes, au besoin à échelle plus réduite…

– Une chose me paraît délicate : combien la commune compte-t-elle d’habitants à l’heure actuelle ?

– Un peu moins de trois cents. Et la communauté de communes n’atteint pas les mille deux cents. Je vois ce que vous voulez dire : y inclure en quelques années plusieurs milliers de nouveaux habitants constitue une gageure, nous le savons. Peut-être irons-nous jusqu’à constituer non pas seulement une commune nouvelle, mais un ensemble de six à huit communes nouvelles, réunies dans une communauté de communes un peu spéciale.

– Le préfet doit vous voir d’un drôle d’œil !

– Oui et non. Bien sûr que nous l’obligerons à une gymnastique inhabituelle, mais d’un autre côté, cette initiative répond à un besoin urgent de rééquilibrer les choses sur ce territoire. La principale ressource financière du département est désormais la tourisme, et qui plus est un tourisme mono-saisonnier. D’autre part, les nouveaux habitants que l’on voit y arriver sont en majorité des gens de votre âge, des retraités. Il y a là deux déséquilibres qu’il faut corriger. Et nous ferons la part belle aussi bien à ce tourisme – en cherchant à en étendre le calendrier – qu’aux retraités, qui nous seront certainement fort utiles !

– Même si vous n’êtes pas élu écolo, ça se fera sous cet étendard ?

– Je préfère ‘post-écolo’ !

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J’aime me poser des questions, et j’ai des convictions : les deux marchent de pair !

Mes billets, au jour le jour, s’ajoutent à pas mal de mes écrits anciens…

Aujourd’hui, je suis aussi l’éditeur de desinfo.

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