Cornelius Castoriadis, à propos de l’islam :
« Ce qu’ils ne peuvent pas accepter, c’est l’émancipation humaine, l’autonomie individuelle et sociale.
Le mouvement d’émancipation, le projet d’autonomie – né en Grèce, repris beaucoup plus amplement en Europe occidentale – libèrent la créativité des individus et de la collectivité, et rendent ainsi possible leur autoaltération réfléchie.
Or, à cet égard, les religions ont toujours constitué un formidable facteur de conservation et de réaction.
Cela se comprend, au niveau philosophique, puisqu’elles invoquent toujours une source de la loi et de l’institution extérieure à la société, donc échappant et devant échapper à l’action humaine (la religion grecque est, à ma connaissance une exception unique de ce point de vue).
Et cela s’illustre facilement au plan historique.
On voit clairement aujourd’hui à quel point la fermeture des sociétés islamiques est liée à leur religion, qui veut toujours régenter la société politique et civile au nom d’une loi révélée.
Mais il n’en a pas été autrement avec le christianisme.
Là où la théocratie chrétienne n’a pas été mise en question, les sociétés en payent encore les conséquences : Byzance, et toute sa descendance (Russie, Balkans, y compris la Grèce moderne).
En Europe occidentale, l’évolution n’a été si différente que parce que l’empereur, les rois, et la plupart des villes ont résisté avec acharnement aux prétentions de la papauté à exercer un pouvoir temporel. »
Extrait de « Une société à la dérive » – Seuil, 2005, pp. 224-.
« La Russie est, par excellence, le pays de la sentimentalité chrétienne. Elle a été préservée du rationalisme de la scolastique médiévale, elle n’a pas connu de Renaissance. Les Temps Modernes, fondées sur la pensée critique cartésienne, l’ont atteinte avec un ou deux siècles de retard. L’homo sentimentalis n’a donc pas trouvé en Russie de contrepoids suffisant et il y devenu sa propre hyperbole, que l’on appelle communément l’âme russe. »
Milan Kundera – L’immortalité – Gallimard, 1990, p. 242