Le premier touriste venu pourrait avoir connu la même mésaventure que voici. Me promenant mal chaussé en compagnie de H. dans un site dolomitique, je dérape et tombe sur le dos, écrasant du même mouvement la demi boîte de petits pois emmenée pour le cas où. N’a-t-on pas toujours besoin de petits pois sur soi ? m’étais-je dit (le slogan a plus de trente ans, je le jure !). Mais quand on les a sous soi en pareille circonstance, on jure aussi de ne plus s’y laisser prendre. Déchirure musculaire ! Je n’en avais jamais connu ; ça ‘fait bizarre’ : vive écorchure à l’intérieur, sueurs froides, nausée, épuisement, prémisses d‘une syncope. Bonne leçon de chaussures ! à qui veut essayer de battre mon – peut-être – record d’écraseur de demi boîte de petits pois à la renverse je recommande d’alerter par avance les services de secours.
Une autre méchante expérience de marche. Nous prenons, avec D., le sentier qui doit nous mener en une heure à la demeure que restaure au fil des années un petit groupe d’amis, cinq cents mètres plus haut. Par ma faute, nous prenons une mauvaise direction. Je suis dans ma phase ‘surtout ne pas revenir en arrière’, au propre comme au figuré. D., elle, connaît la montagne, mais moi, paysan de la plaine, guère. D. propose de rebrousser chemin pour repartir en sécurité. Je ne la suis pas. Devant mon entêtement, elle décide de tenter le coup par ‘ce chemin qui ne peut que nous y mener, lui aussi’, selon moi. Au lieu d’une heure, nous marcherons treize heures, non compris le temps de bivouac forcé. J’ai compris cette fois ! Le temps passé n’est pour rien dans la leçon. Je parle des sentiers qui s’effacent, des crottes de biques qui se raréfient avant de disparaître, du chemin qu’il faut – eh oui ! – rebrousser, des pierriers qu’on gagne à traverser en se laissant glisser sur des fesses vite endolories. D., bien plus vaillante, doit patienter et patienter car le vieil intraitable traîne la patte. Un chien nous avait d’emblée joyeusement emboîté le pas ; faisant l’aller-retour entre D. et moi, il ne cessera, museau sous l’aisselle, de vouloir me remettre debout quand je flanche. Bonne leçon de montagne !
En voiture, cette fois. Un chemin escarpé, manifestement fréquenté par des voitures néanmoins. Je l’emprunte. Ma Renault 19 – c’est bien, la R 19, ça a, à la hauteur des sièges arrières, des poignées rivées au plafond : très pratique pour se retourner la nuit – la R19 n’a pas l’adhérence suffisante pour un empierrement aussi meuble. à ma gauche, le ravin. Je m’en suis sorti cette fois. Demi sueur froide. Bonne leçon de conduite !
Tout touriste téméraire en a reçu de plus intéressantes, j’en suis sûr. Si je ranime ces souvenirs, c’est aussi parce que ‘mon’ éditeur a aimé mes pages qui précèdent et que je lui ai promis un certain volume… Eussé-je poursuivi si ledit éditeur n’avait pas marqué son intérêt ? Pas sûr. Il arrive que, entre écrire laborieusement tout en doutant et ne rien faire, je préfère spontanément la seconde option ! Car le défi comme le plaisir ont des limites, non ? (interrogative)
Autre balade, en compagnie de J-R. Nous rencontrons par deux fois, à quatre kilomètres de distance, le quasi-même nom de hameau : Bronuel/ Bromuhel. ‘Uhel’ signifiant ‘haut’ dans la langue locale. étonnement de constater que ce nom désigne par deux fois un habitat encaissé, donc bas. Il me faudra y revenir à plusieurs reprises avant de pouvoir ébaucher une explication : depuis chacun de ces deux lieux, l’on aperçoit à l’horizon, par beau temps, deux ‘menez’ – appelons ça des ‘montagnes’ – dont forme et disposition ne sont pas loin de représenter une mignonne poitrine féminine. Même le pluriel – bronoù uhel – s’y sous-entend. Mais, bon, me demanderez-vous, de quel savoir puis-je me targuer pour avancer mon interprétation ? Eh bien, primo, je crois savoir que, dans l’histoire de l’humanité, il ne fut pas toujours besoin de TV pour alimenter les fantasmes ! Secundo, la preuve par Giono inversé : ‘Ce beau sein rond est une colline’ – Manosque des plateaux.