Loger demain

Au tout début de cette aventure, il y avait à Ploukaër deux problèmes durement ressentis :

1- Les plus impécunieux – dont beaucoup de jeunes, chose infiniment fâcheuse – ne trouvaient qu’exceptionnellement à se loger, ou devaient habiter à la va-que-je-te-pousse.

2- Les bourgades n’en finissaient pas de se vider de leurs forces de tous ordres : par exemple, le journal annonçait périodiquement la fermeture, dans les environs, d’une classe ou de l’école, ou bien du bar-épicerie-dépôt de pain-tabac.

Réflexion de Damien K., fraîchement réélu maire :
« Premier mandat, mettre les choses en ordre.
Second mandat, aller de l’avant. »

Facile à dire, mais comment ?
Mettre le paquet pour déployer « la fibre » partout au plus vite, pourquoi pas? ça peut rapporter des voix…
Ou, au contraire, accepter une proposition, trop grosse de problèmes à venir, que la préfecture venait de faire à toutes les municipalités du département ?

L’inattendu lui procura les réponses.

Le promoteur de logement social qui avait fait bâtir une demi-douzaine de logements près du bourg quelques années plus tôt, avait décidé de développer ses capacités d’action.
Déjà, cette demi-douzaine de logements avait bénéficié d’une belle formule qui n’était plus tout à fait nouvelle : les terrains restaient la propriété de la commune, qui les louaient pour une très longue période, ce qui permettait de diminuer considérablement le montant des loyers.
Or c’était ce même organisme qui expérimentait désormais un montage financier supplémentaire destiné à augmenter ses capacités de trésorerie.
Voici comment.
Les nouveaux logements pourraient être pris à ferme par une société partenaire, pour une période de vingt ans.
Chaque écolier a eu connaissance des « fermiers généraux » des temps anciens où, moyennant le versement d’une somme initiale, le « fermier » se chargeait de la collecte de telle ou telle redevance, pour le compte du roi par exemple.
C’est ce modèle qui avait inspiré le bâtisseur : pour chaque nouveau projet de lotissement à bâtir, il poussait à la constitution d’une société fermière qui lui verserait d’avance une somme globale, obtenant ainsi le droit de se substituer au bâtisseur pour percevoir mensuellement les loyers des habitants.
But du bâtisseur : augmenter sa capacité financière à bâtir ; concrètement, pouvoir construire plus de logements.
Bien sûr, des suspicions s’étaient déjà faites jour : ce serait compliquer inutilement la machine, et puis – et là, ça coinçait dans bien des esprits, car la mission même du bâtisseur pouvait en prendre un vilain coup – comment éviter que le montant des loyers n’en soit augmenté ?

Et puis, en pratique :
Comment constituer une société fermière ?
Quels précautions prendre ?
Comment constituer le capital nécessaire, car verser vingt ans de loyers pour ne serait-ce que dix logements, ça n’est pas rien ?
Et quel statut adopter ?

Une première société fermière s’était constituée dans le département.
La motivation de ces investisseurs était claire.
D’une part, ils voulaient retirer leurs économies des mains d’un système financier en risque permanent de capoter et, qui plus est, pour des usages spéculatifs obscurs, voire peu recommandables.
D’autre part, ils voulaient que ces économies servent à un but qu’ils approuveraient, et dont ils pourraient même être fiers.
Après des débats animés, les trois initiateurs avaient décidé que leurs bénéfices s’établiraient au taux maximum du livret A, jamais plus.
S’en était suivi une période de recherche de nouveaux investisseurs dont, était-il convenu, aucun ne pourrait posséder plus de vingt pour cent des parts.
Rencontres de tous types, parution dans la presse, conférences.

Sans s’être jamais rendu à l’une de ces conférences, M. le Maire était tout de même au courant, car quelques articles des journaux locaux avaient attiré son attention.
Mais bon, comme chacun sait, il n’est guère admis qu’une collectivité publique prenne part à une société de droit privé…

Sauf que…
Sauf que, dans la perspective d’un nouveau programme de logements dans sa commune, le bâtisseur venait de déclarer lui déclarer que, au vu de quelques expériences positives dans quelques départements, il était fermement décidé à développer ce type de société fermière.

« Hum ! nous en reparlerons… » fut la réponse de Damien.

« Hum ! encore une jolie source de souci… » avait pourtant été sa réflexion intime.

Quelques mois plus tard, l’un de ses cousins de passage, conseiller municipal à un autre bout du pays, à qui il en avait parlé, lui fit « Tiens, chez nous, c’est autre chose qui s’expérimente ».
C’est une autre innovation dans le domaine de l’habitat, portée, elle aussi, par un organisme de logement social qui était à l’essai. (Inspirée, peut-être de ceci ? Comment savoir ?)

Le constat : loger des personnes seules est difficile, car un petit logement va prioritairement – et ça se comprend – à un ménage de deux personnes, à une famille monoparentale, par exemple ; or, des personnes isolées cherchant à se loger à bas coût, il y en a aussi, bien sûr ! Vieilles et jeunes.

C’est le cas des jeunes qui avait été ausculté sous ses divers angles.
Puisque pas mal de jeunes d’aujourd’hui sont plus mobiles que lors des générations précédentes, prenons en compte cette mobilité, s’était-on dit.

Et puis, certains équipements de vacances d’été procurent des facilités à des personnes en mouvement : toilettes, électricité, cuisine, etc. : pourquoi pas reprendre cette formule dans une « version hiver », en lui ajoutant des espaces de vie ?

La réflexion prit du temps et, à diverses étapes, l’on fut près de l’abandonner.

Voici ce qui est maintenant à l’essai :
Un bâtiment central, construit par l’organisme de logement social, est en train de devenir un lieu de vie collective pour quinze-vingt personnes : pas de couchage, mais trois salles communes, cinq petits espaces à vocation de bureau ou atelier, et deux cuisines.
A proximité ont été construits sept T1 et cinq T2 à usage locatif.
Et, aux environs de ces bâtiments, des espaces ont été aménagés pour le stationnement à moyen ou long terme de camions, tiny houses, camping-cars, etc. Appréciés des travailleurs saisonniers, bien sûr, mais pas que !
Deux habitants du bourg ont proposé une chambre, qu’ils ne louaient pas auparavant.

Hum ! hum ! se dit Damien… Ce bout de l’école dont on ne sait trop quoi faire ?

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J’aime me poser des questions, et j’ai des convictions : les deux marchent de pair !

Mes billets, au jour le jour, s’ajoutent à pas mal de mes écrits anciens…

Aujourd’hui, je suis aussi l’éditeur de desinfo.

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