Mission impossible

19 avril 2020

L’histoire retiendra sans doute que ce 21ème siècle dévoila son aigre visage début 2020, lorsqu’un infime bout de protéine inerte, par miracle et à grands crissements de freins, arrêta un abject rouleau compresseur badgé TINA (There Is No Alternative).
Cet exploit, aucune action humaine n’avait jusqu’alors réussi à l’accomplir. Il était pourtant clair que la piste borgne des Trente glorieuses, qui sembla, sur le moment, en Occident, être la pointe la plus avancée et la plus avantageuse du Progrès de toute l’histoire humaine, nous avait tous conduits aveuglément aux abords glissants du gouffre.

Virage sur l’aile ?

Du jour au lendemain, deux univers mentaux sont entrés en collision : « la crise pour demain » dont nos cerveaux étaient abreuvés depuis des lustres au point que nous la rangions au rayon « j’veux pas l’savoir » – climato-tout-à-fait-sceptiques de fait -, contre l’obligation aujourd’hui d’avoir à reconsidérer – peut-être pour toujours – notre mode de vie individuel.
Jeune ou vieille, qui retrouvera intacts ses chaussons roussis du 20ème (pour autant qu’il en disposât auparavant) ?
Et les territoires, s’ils ne veulent pas sombrer, n’ont-ils pas l’obligation de se ré-inventer ?
Le virus les y a déjà quelque peu aidés, d’ailleurs. Tel pays où l’ultra-capitalisme ravageur est à la manœuvre, injecte soudain une dose de la providence d’État que sa génération précédente s’était ingéniée à envoyer valdinguer : eh bien, si le revenu universel constitue une voie pour des lendemains massivement sans emplois conventionnels, l’y voilà préfiguré en un tournemain. Foin des règles monétaires et budgétaires ! Qui l’eût cru ?

La pandémie s’ajoute, ne l’oublions pas, aux autres dérèglements majeurs que nous évitons, tant que c’est encore possible de regarder en face. Cet ensemble nous oblige, non pas seulement à réformer des pans majeurs de l’activité humaine, mais à les chambouler complètement, et d’urgence : alimentation (agriculture p. ex.), hospitalité (tourisme, inéluctables migrations massives p.ex.), bien-être (santé publique p.ex.), eaux, pour n’en citer que quelques-uns.

Comment faire ?

La tâche immense requiert la participation de mille compétences à tous niveaux, tant pour la réflexion et les projets que pour l’opérationnel : manœuvriers, soignants, juristes, chercheurs, constructeurs, paysans, artistes, administrateurs, enseignants, organisateurs, philosophes, gestionnaires, communicateurs, éducateurs, rêveurs…
Ou, comme l’écrit le Conseil Emiliano Zapata indigène du Guerrero au Mexique, ‘que vous soyez ouvrier, paysan, de la campagne, de la ville, enseignant, étudiant, homosexuel, lesbienne, transsexuel, artiste, intellectuel, militant, activiste, féministe, sportif, femme ou homme au foyer, colon, homme, femme, enfant, jeune, personne âgée’…
Bienvenue à chacun.e ! dont, pour sûr, les innombrables lassés des Prozac…
Certains auront à déserter pour s’insérer dans ce chantier, mais d’autres seront tout simplement expulsés de leur ancien job, et ainsi rendus libres d’y œuvrer.
Quand la population agricole des pays d’Occident s’est asséchée à grande vitesse, les poches avides de l’industrie et du tertiaire ont absorbé ce surnuméraire agricole. Désormais, c’est – dit-on – l’ensemble des emplois habituels dont le volume s’amenuisera inéluctablement. Les surnuméraires devront-ils se créer eux-mêmes leur place sociale et économique ?
Et c’est précisément à ce stade qu’intervient opportunément l’obligation de tout ré-inventer…

De surnuméraire à réfractaire ?

Pareille aventure peut-elle s’engager en faisant ami-ami avec le camp de Madame TINA ?
Ça reviendrait à confier la solution des problèmes à ceux qui les auront – au moins en partie – provoqués, non ?
De toute manière, l’heure des choix n’engage-t-elle pas à cracher résolument dans cette main nourricière qui, par nature, asservit, avilit, et – ce qui est bien pire à certains égards – contamine les mentalités ?

Faire ensemble ?

La réponse au virus qui poussera la dame TINA dans les décors, c’est donc quoi ?
Eh bien, ce sont ces multitudes de réfractaires qui oseront se retrousser les manches face à l’impérialisme du tout-compétition, pour œuvrer bigarrément, posément et joyeusement à cet ‘essentiel’ qu’un obscur coronavirus a mis à l’ordre du jour.
Juste déterminés à reconstruire notre dimension collective que les cinq derniers siècles d’Occident – en passant par le ‘Je pense donc je suis’ dont le mot principal est « Je » (sujet indépendant en langue française alors qu’il ne l’est pas en latin) – se sont évertués à dézinguer, jusqu’à l’extirper de nos gènes sociaux, ce qui fait de nous des hémiplégiés.
Le slogan « La société ça n’existe pas » fut un aboutissement tout naturel de ce processus multiséculaire ; une fois devenu une évidence pour beaucoup, TINA n’eut guère à se forcer pour le sortir malignement de sa manche.

Conséquence : « faire ensemble », dans l’état de selfistes velléitaires où nous sommes, sera bien plus difficile que nous ne pouvons imaginer. Chanter « Alternative-Alternative » en sautant comme des cabris n’y suffira pas.
La barre est très haute : posséder en commun, décider sans chefs, réguler ensemble, autant de pratiques qu’entravent l’absence de formation et ces cancers de l’ego que l’on déplore dans une forte proportion des groupements actuels. Un exemple courant, s’il en faut un, est fourni par nos monuments collectifs de coopération a minima que constituent la plupart de nos forums de discussion en ligne, quand ils ne sont pas un simple étalage de « Moi-Je » ! Ainsi, our le moment, ne savons-nous même pas encore parler ensemble !
D’autre part, ça sera d’autant plus difficile à mettre en œuvre que les machineries pour le pire se battront pour conserver leurs droits acquis, ou chercheront à se présenter masqués.
Bref, ce qui nous attend donc à coup sûr : avancer difficilement, à faible visibilité, et sans mode d’emploi préalable..

Comment nous organiser ?

Les indispensables zones-refuges d’abriculture, du type ZAD par exemple, n’y suffiront pas, même réseautés en archipels. Devrons-nous donc envisager, à la campagne, de grandes nouvelles Villefranches, plus intelligentes que les jolies smart-cities du nouveau catalogue TINA, destinées, celles-ci, à baigner en toute pureté écologique dans un océan de misère ?
En Europe, le mouvement coopératif et mutualiste prétendit se constituer parallèlement au système dominant. Sa particularité et ses idéaux furent progressivement anéantis par un mix d’argent-roi et de centralisme démocratique inavoué, et le système l’a tout bonnement assimilé et digéré.
Indépendamment des États-nations ?Il serait prudent, à tout le moins, de l’envisager.Ces appareils, en tout état de cause, seraient-ils autre chose qu’une antiquité en un éventuel siècle 22 de la région Terre ? Mais quelles lois pour accompagner et garantir l’émergence d’un monde parallèle et opposé au Business et à ses États captifs, si ceux-ci exercent et renforcent leurs pouvoirs, et interdisent par la force toute décision qui n’a pas son aval ?

Quel peuple

Une pièce, hélas, manquait dramatiquement au 20èmepour initier de nouveaux cours : l’aptitude d’instances autres que le business et les appareils étatiques tinaïques – aux yeux de qui la vérité sort immanquablement de la bouche des PDG et de leurs grandiloquentes cours -, lourdement appuyés par leurs haut-parleurs médiatiques. Sans oublier les mille Prozac de la Sécurité sociale..
Là fut le plus désastreux héritage de la déconomique Madame TINA et de ses prédécesseurs : le peuple, au lieu de s’affirmer de plus en plus présent dans les choix qui le concernaient, ne disposait plus que de ses révoltes ou de ses actes d’achat – ceux-ci, eux-mêmes, ô combien dirigés – pour tenter d’orienter ses devenirs… Pour le reste, il était prié de faire électoralement allégeance à l’autorité, dont le message s’exacerbait si comiquement par temps de Covid 19 : « Je me bats pour vous – Je prévois pour vous – Je cherche pour vous – Je pense pour vous », se concluant en cette époustouflante apothéose « Croyez en moi, et vous vivrez ! ».

Oh ! bien sûr, des myriades de volontaires d’associations s’activaient en divers domaines ; mais quelle honteuse disproportion entre leurs minces capacités et celles de Madame TINA à peser sur le cours des choses !

Pourtant – mais est-ce réellement un paradoxe ? -, les niveaux d’instruction n’avaient cessé de s’élever partout dans le monde. Question subséquente : comment expliquer une telle contradiction entre les objectifs soi-disant émancipateurs des institutions scolaires depuis le primaire jusqu’aux plus hautes études, et cette cruelle dépossession des peuples, quels qu’ils fussent ? Quel était donc, pour de vrai, le but de ces appareils si massivement applaudis ? Façonner selon le même moule, des fantassins et des élites, pour qu’ils acceptent, les uns comme les autres, de se soumettre ? Dans quel cursus scolaire au monde, l’esprit critique et la bienveillance, l’expression de soi et l’attention aux copains, la recherche de buts à atteindre en commun et l’aptitude à y parvenir en coopérant étaient-ils qualifiants ? L’histoire officielle des puissants et l’amoncellement de connaissances indigérables, s’ajoutant à l’abêtissante conformité, par contre, ça oui !

Chiche ?

Pour réussir la mission ainsi impossibilisée de terrasser le vieux monde, tant de conditions seront à réunir…
Pointons l’une d’elles. Il faudra compter sur une fraction des individus et structures haut de gamme peuplant encore aujourd’hui l’armée des puissants : d’abord, ceux qui contestent déjà que le ‘Puisque nous savons le faire !’ et la pression de la concurrence puissent constituer des arguments décisifs en faveur des avancées technologiques ; puis ceux qui cesseront progressivement de collaborer à des réalisations qu’ils ne souhaitent, tout bien réfléchi, ni pour eux-mêmes ni pour leurs enfants.
Exemple : notre époque est en train de fournir à l’humanité des outils d’intelligence artificielle potentiellement mortels, et pas seulement pour nos libertés : une catégorie d’ingénieurs – appelons-les tels – est choyée pour nous appareiller grotesquement, vous et moi, gens de raison et de cœur, c’est-à-dire neutraliser progressivement nos capacités humaines les plus diverses, et nous agréger en un troupeau unique de terminaux numériques vivants serviles, autrement dit en une nouvelle humanité encore plus infoutue que la précédente de s’occuper de ses propres affaires. La pandémie constitue d’ailleurs une formidable opportunité pour nous faire accepter cet appareillage comme une lettre à la poste. Comment se fût écrite l’histoire du 20ème, si ses totalitarismes en avaient disposé ?
Dans le secteur de l’armement comme en tant d’autres, compte-t-on déjà une proportion notable de ces collaborateurs hautement compétents en I.A. à qui cela pose problème ? Interrogeons-les !
De même, les ingénieurs de Bayer sont-ils tous si à l’aise avec les inhibiteurs respiratoires SDHI qu’ils ont mission de développer et de propager ? Osons espérer que non !
Ce ne sont que des exemples.
En élargissant le propos, il convient d’interroger aussi les cadres managers qui pourraient ne plus accepter d’obéir aux instructions de ‘se concentrer sur des activités davantage rentables’, ‘pousser l’offre sur les solutions à forte profitabilité’, sans aucun souci de ce qu’il y a derrière le pognon ainsi fructifié. Les tribulations de feue l’usine française de masques respiratoires, et de bien d’autres processus de mise en dépendance au nom d’une absurde ‘rationalisation’ montrent à quelles catastrophes mène ce genre d’objectifs

Verrons-nous donc une foule de ces ingénieurs et cadres haut de gamme se décider, en avant-garde, à déserter l’armée dont ils sont les mercenaires abusés, pour déployer leurs richesses en meilleure terre ?
En plus d’être un indispensable apport de hautes compétences, un tel large mouvement ne sera-t-il pas d’une très haute portée emblématique, encourageant les œuvriers de toutes qualifications à le rejoindre.
Crois-tu vraiment que ces gens-là vont démissionner !?!, me souffle-t-on…
Espères-tu qu’ils se contentent d’un maigre revenu universel, par exemple, durant le temps de leur conversion ?
Ou connais-tu d’autres solutions qui rendraient leur choix réaliste ?

Et en face ?

N’en doutons pas, le camp de cette Madame TINA n’est pas à l’agonie. Drogué pour survivre, s’appuyant sur nos goûts immodérés pour le confort, il ricochera, avec plus ou moins de bonheur, d’infarctus des coronaires en dérèglement cérébral de la dame.
En sera-t-il d’autant plus violemment ravageur ? C’est probable.

Eh bien, raison de plus !

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J’aime me poser des questions, et j’ai des convictions : les deux marchent de pair !

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