S’inventer des vies

école

« On a passé là, dans la cour, des milliards d’heures de pur bonheur. (…)
Quand on est grand, on ne joue pas. Agnès, un jour, a arrêté de jouer. Et puis Jacques. Un jour on ne sait plus jouer. On oublie le secret.On ne comprend plus ce que ça veut dire, en quoi ça consiste.
S’inventer des vies, y croire dur comme fer, un jour, c’est fini, ça s’arrête d’un seul coup, comme ça, du jour au lendemain.
Je me demande si ce n’est pas le pire jour de la vie : la perte du jeu, l’oubli du jeu. On y passe tous.
Un jour ça a été mon tour. Mais j’en ai profité jusqu’au bout, jusqu’à la dernière minute, à la dernière seconde.
Je me demande si je n’ai pas battu une manière de record : celui qui jouera le plus longtemps. Un cadeau du ciel.
Je me souviens de ce jour où un camarade de mon âge est venu me voir, dans la cour, et m’a surpris en train de jouer avec Madeleine et Bernard. Le ton de mépris, dans sa voix, quand il m’a lancé : ‘Quoi, tu joues encore, à ton âge ?’ Oui, je jouais encore. Et je le plaignais, sincèrement, de ne plus savoir jouer.
Après, quand on a passé la barrière, franchi la frontière, c’est fini, on ne peut plus revenir en arrière.
Jamais. »

Alain Rémond – Chaque jour est un adieu

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