Un prof d’université introduit son cours annuel

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S’il veut être salutaire pour ses étudiants, un prof d’université pourrait montrer qu’il a un peu réfléchi à ce qu’est l’appareil d’enseignement, et commencer une année de cours comme ceci.

Sachez que je n’ai rien à enseigner au sens habituel de ce mot. Si vous êtes ici pour vous faire instruire, attendant de moi des réponses à des questions que vous ne vous serez pas posées, sachez que vous n’êtes pas à la bonne adresse.
Je ne cherche pas, non plus, à communiquer mon expérience de vieux.
Mon but premier est de vous aider à vous poser des questions.
Je suis un accompagnateur. Pas forcément bienveillant ; on verra.
Comme c’est le début de l’année, je commence par vous orienter (ou vous désorienter, ce sera selon), en énonçant devant vous une kyrielle de questions. Certaines feront tilt chez vous, d’autres non.
Ce sera affaire personnelle, comme doit l’être, selon moi, tout itinéraire d’apprentissage.
Les questions sont, selon moi, la base de toute démarche intellectuelle.
Il n’y a de savoir réel qu’en tant qu’il est une réponse à une question.
Je veux contribuer à faire de chacun de vous un étudiant-chercheur, même si ça paraît étrange.
Car, oui, le moment venu, ce sera aussi à chacun de vous de nous enseigner à tous quelque chose, même minime. Oui, même minime.
Sinon, quel sens ça aurait que nous soyons ici, ensemble, dans une université ? Perpétuer les vices de cette institution ?

Pour cette matinée, voici donc une première kyrielle de questions.
Même s’il n’y en avait que deux ou trois qui vous « parlent » ce serait déjà pas mal ! .Peut-on dire qu’un jeune n’étudie qu’en vue de l’examen ? Si oui, est-ce bien raisonnable ? Si non, comment y parvient-il ?
.Peut-on dire qu’à l’université, les étudiants sont par essence des mendiants ? Mais des mendiants de quoi ? Des mendiants de savoirs ? De compétences ? De diplômes ? De rencontres amoureuses ? Des mendiants de miracles ?
.Peut-on dire qu’à l’Université, tu n’expérimentes ni le lien avec les autres, ni le lien avec toi-même ?
.Si le temps universitaire est fondamentalement un carcan venant après tous les autres que tu as subis pendant l’enfance, la solution ne serait-elle pas une année hors les murs vers 15 ans, ou vers 20 ans ? Ou une vers 15 ans, puis une seconde vers 20 ans ?
.A l’école, est-on plus ensemble, ou plus seul.e, que dans la vie ?
.Y est-on en compétition ?
.L’école implémente-t-elle une application d’intelligence artificielle obligatoire (une IAO) dans le cerveau des élèves ?
.L’Université est-elle le moule du parfait petit soldat ?
.A l’heure du smartphone généralisé, et donc d’un environnement d’écrits e d’images sans commune mesure avec ce que les jeunes du peuple rencontraient couramment du temps de Jules Ferry, l’appareil scolaire peut-il encore prétendre : « Sans moi les jeunes d’aujourd’hui ne sauraient ni lire ni écrire » ? De temps en temps, comme pour cette question un peu alambiquée, par exemple, il voulait bien répéter ; mais c’était rare.
.Par définition, un prof normal est-il veule ?
.Un prof débutant est-il fiable ? (comme on s’interroge parfois sur la fiabilité d’un médecin débutant)
.L’école est-elle vraiment gratuite ?
.L’école élève-t-elle une barricade contre l’intelligence féminine ?
.L’appareil d’enseignement prend-il les jeunes comme ils sont ou comme ils devraient être ?
.Puisqu’il existe une évaluation mondiale des systèmes nationaux d’enseignement, peut-on parler d’un appareil mondial d’éducation, de fait ?
.Doit-on encore se battre pour l’école ?
.Quel est le budget géré directement par cette université où nous sommes ? Et quelle part de son coût réel cela représente-t-il ?
.La police est-elle en droit d’entrer dans les établissements scolaires ?
.Les questions que je suis en train de poser ici sont-elles de droite ?
.L’enseignement constitue-t-il un vaccin contre la connerie ?
.Pourquoi les BU sont-elles fermées la nuit alors que, pour certains, c’est le meilleur moment pour étudier, ou tout simplement le seul moment pour ça puisqu’ils travaillent de jour pour payer leurs études.
.Comment serait, à l’échelle de ce pays, un appareil d’enseignement sans ministère, comme en Suisse, par exemple ?
.Quelle hypothèse faites-vous si on vous dit qu’une école a fait une action qui serait contraire à ses attributions ? Ce serait quoi, par exemple ?
.L’école est-elle scientiste ? Précision : si un groupe se met à bosser là-dessus, je viens immédiatement bosser avec, car c’est un point que je veux creuser particulièrement désormais.
.Rit-on, pleure-t-on, s’émeut-on à l’école ? Si oui, quand et comment ? Le comique, le dramatique, le tragique ont-ils à l’école la place qu’ils ont dans la vie de tout le monde ? N’est-ce pas confiné dans la littérature, où l’on s’attarde longuement sur les émotions des personnages ?A vrai dire, si l’école est scientiste, non seulement à quoi bon tout ce fatras émotionnel ? mais doit-on même continuer d’inclure la littérature dans les programmes scolaires ?
.A l’école, prend-on le temps ? A-t-on le temps ? Tue-t-on le temps ? A quel temps l’école nous formate-t-elle ?
.Peut-on répondre aisément à la question : l’école est-elle dans le marché ou hors du marché ?
Un cas : A l’approche du bacc, un prof propose aux élèves en difficulté de venir au lycée le samedi matin pour des cours de rattrapage. Les séances ne sont pas payantes.
Les résultats une fois connus, l’une des lycéennes vient lui demander des comptes : « Je suis collée au bacc, et pourtant je suis venue chaque samedi à vos cours de rattrapage …et gratuitement, en plus ! Qu’est-ce que ça signifie ? »
Elle estimait avoir payé son dû, et se voyait donc lésée pour n’avoir pas reçu en retour le produit escompté… Comme on réclame un dû auprès d’Amazon, en fait.
.Au vu de l’archi-faible performance des enseignements de langues étrangères en France, peut-on faire l’hypothèse que d’autres enseignements sont tout aussi déficients ?
.Le mode d’étude chez les jeunes juifs croyants explique-t-il la forte proportion de juifs dans les palmarès des scientifiques mondiaux ? Même question pour les pays protestants qui n’obéissent à aucun Vatican.
.Le mode d’étude des écoles coraniques explique-t-il la faible contribution d’arabes aux inventions mondiales depuis que l’islam a conquis ces populations ?
.L’appareil d’enseignement français pourrait-il être pire ?
.Qu’est-ce qu’un ministre de l’Éducation nationale ? (à part quelqu’un qui vient déposer sa marque sur l’appareil, comme un chien au pied d’un réverbère ?)
.Poser des questions, est-ce instruire ? Se poser des questions est-ce s’instruire ?
.Au fond, à l’école, qu’évalue-t-on réellement chez chaque jeune ? Ne serait-ce pas seulement sa capacité à perdurer dans une institution bureaucratisée ?
.Peut-on sortir de l’alternative : ou bien l’examen final, ou bien le contrôle continu ?
.Quand un prof dicte systématiquement ses cours, est-ce parce qu’il a peur des questions que pourraient se poser ses élèves, ou est-ce l’appareil qui veut que ces questions de l’élève restent informulées, comme encloses ?
.Quel est le pourcentage des étudiants des Universités qui n’y obtiennent pas les résultats qu’ils espéraient ?
Et en corollaire : Peut-on dire que l’Université parachève le travail d’élimination de ceux que les étapes précédentes n’avaient pas suffisamment réussi à éliminer ?
.La démocratisation des chances n’exigerait-elle pas qu’à l’Université il y ait, pour ceux issus des classes populaires, des cours de rattrapage sur «Quels sont les bons chemins pour obtenir des hauts salaires et les avantages qui y sont généralement attachés ? » ?
.Une question ridicule aux yeux d’un prof est-elle une question ridicule en soi ?
.Sont-ce surtout – je cite un auteur célèbre – sont-ce surtout « les crétins sentimentaux et pervers de la petite bourgeoisie qui se poussent dans le métier d’enseignant » ?
.L’université est-elle une voie de passage vers 1) des compétences, 2) un rang social, 3) une culture ? Ou quoi d’autre ?
.Un jeune est-il une proie moins facile pour les propagandistes (États, publicité, religions) s’il a été scolarisé plus longtemps ? Pareil pour une jeune.
.A l’université, la majorité des gens sont-ils passionnés par ce qu’ils y font ?
.Dans une région où les salariés sont en grande partie surqualifiés, devrait-on abaisser le niveau de l’enseignement, ou procéder à des éliminations plus rigoureuses ?
.Pour finir, une dernière, pour le cas où vous ne vous le seriez pas déjà posée par vous-même : Un prof qui se contenterait de poser des questions serait-il dans son rôle ?
Permettez-moi de vous préciser qu’une telle question – comme beaucoup de celles que j’énonce ici – peut être déclinée de diverses manières. Par exemple : Devrait-il s’attendre à être payé pour ça ? S’il se contente de poser des questions, est-ce qu’il attribuerait tout de même des notes aux étudiants ? Et si aucune note n’était transmise à l’administration universitaire, serait-il viré ?
Si vous acceptez de vous poser ne serait-ce que 2 ou 3 % de ces questions ou – ce qui serait encore mieux ! – vos propres questions, oui, ça va bien me plaire d’être votre prof cette année.

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J’aime me poser des questions, et j’ai des convictions : les deux marchent de pair !

Mes billets, au jour le jour, s’ajoutent à pas mal de mes écrits anciens…

Aujourd’hui, je suis aussi l’éditeur de desinfo.

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