Une « étincelle », c’est quoi ?
C’est une séance réunissant quelques personnes, durant laquelle chaque participant.e exprime ses besoins-nécessités-souhaits-envies-etc., ainsi que les services ou les choses qu’il.elle peut proposer aux autres.
Une sorte de « Le bon coin » près de chez soi ?
Pas du tout !
Car
- Les personnes sont présentes.
- Il ne s’agit pas seulement de demander ou de proposer : il s’agit des deux.
- Et il ne s’agit pas que d’une seule chose, ou d’un seul service : chacun fait devant les autres la liste de ce qu’il veut offrir ou recevoir.
Ces choses ou services ont un prix ? et même peut-être une monnaie spéciale ?
Si le donneur et le receveur décident que c’est gratuit, c’est gratuit.
S’il y a un prix, c’est dans la monnaie qu’on veut, mais pas dans une monnaie spéciale.
Ce sont des échanges, alors ? par exemple « cours d’espagnol contre taille de rosiers » ?
Eh bien non : vous pouvez obtenir un service sans contrepartie à l’égard de celui qui vous le rend, ni vers qui que ce soit d’autre.
Bon, ce ne sont pas des échanges ; c’est quoi alors ?
C’est du don. Vous pouvez donner ce que vous avez qui vous encombre, ou ce qui pourrait faire l’affaire de quelqu’un d’autre. En entendant les besoins des autres, vous pouvez décider de proposer quelque chose que vous avez et que demande un autre participant durant la séance. Ou ça peut être du prêt.
On ne vend pas ?
Si vous préférez vendre et que l’autre personne est OK, vous vendez. Un seul « instrument de mesure » y a sa place : le sentiment d’équité découlant du degré de satisfaction, qu’on est d’ailleurs invités à ressentir et à exprimer.
Bon, on voit un peu le principe. Mais comment ça se passe ?
Ça commence par une personne qui propose à une ou deux ou cinq ou six personnes de réaliser une Étincelle: des personnes qu’elle connaît, ou des personnes qu’elle voudrait mieux connaître, ou qu’une des personnes invitées connaît. On peut aussi inviter de parfaits inconnus, pourquoi pas ?
On décide du lieu, de la date et de l’heure du début ; il vaut mieux estimer en même temps l’heure de fin de la séance : ça dure plusieurs heures !
Plusieurs heures ?
Avant d’avoir expérimenté, on a peine à y croire, mais c’est la réalité…
Et que fait-on durant une séance ?
Primo, chacun identifie pour lui-même les besoins-nécessités-souhaits-envies qu’il ressent. Il peut s’agir d’aide pour ci ou pour ça, de contacts, de renseignements, de coups de main, de chaleur humaine, ou de 10 € ou de 1 000 € tout de suite, etc.
Et chacun examine aussi les choses ou services qu’il peut proposer à d’autres, dans tous les domaines (matériel, psychologique, financier, spirituel) et à tous les points de vue : personnel, familial, professionnel, communautaire. On note tout ça par écrit.
Dans les faits, une demi-heure n’est pas de trop pour cette partie du temps.
Une demi-heure ?
Comme nous n’avons pas en permanence ces préoccupations à l’esprit, ça prend un peu de temps d’en établir la liste.
On peut proposer de l’établir par catégories : la chaleur humaine, la santé, l’espace où je vis, les déplacements, la contemplation, mes compétences ou celles que je recherche, les choses, l’argent, etc.
Puis, chacun, tour à tour, prend le temps de dire aux autres ce qu’il a noté.
Et chacun note ce qui est dit par chacun des autres ; on n’interrompt pas la personne qui s’exprime.
Il n’est pas rare que, en prenant tout le temps qu’il faut, chacun parle ainsi durant une demi-heure. C’est un fort temps de parole et d’écoute.
Pour engager ce tour de parole, la personne qui a pris l’initiative de la séance peut s’exprimer la première.
Il n’y a pas de présentation pour commencer ?
Ce n’est pas idéal de commencer par une présentation ordinaire, où chacun dirait sa profession, sa situation familiale, etc. (en omettant d’ailleurs la plupart du temps de dire quels sont ses revenus : ça, c’est tabou !!!)
Dans une étincelle, on n’est pas un CV. Et on n’est pas là non plus pour tirer parti des autres. L’identité de chacun apparaît suffisamment à l’écoute de ses offres et demandes, et c’est bien mieux !
Ensuite ?
Un second tour peut être décidé ; par exemple pour énoncer des demandes ou propositions dont le souvenir est venu en écoutant les autres.
Puis vient le moment où tout le groupe va dialoguer avec une première personne : mieux comprendre ses offres/demandes, proposer d’y répondre, orienter vers des personnes qui pourraient y répondre, etc. « Ben, moi j’ai vu que tu avais besoin de ça, je peux t’apporter ça, je peux t’aider à approfondir ça, est-ce que tu peux m’expliquer ça, je connais quelqu’un qui peut t’aider sur telle ou telle demande, et ainsi de suite. » C’est un moment assez magique où on reçoit l’énergie de tout le monde sur ce que soi-même on a envie de faire : on se sent reliés sous cette forme où l’autre a vraiment écouté ce dont j’avais envie et a vraiment envie de m’avancer sur ce qui me tient à cœur : comme l’autre, inversement, a dit ce dont il a vraiment envie, ça vibre suffisamment pour que moi je sente que l’énergie de l’aider dans son avancement, et donc spontanément ça crée plein de liens de générosité.
Puis, même chose avec une seconde personne.
Et on fait ainsi le tour des présents.
Avant de clôturer la séance, il est possible de retirer une offre ou une demande que l’on a faite.
Puis, on prend les numéros de téléphone, les agendas, etc. tout ce qui va permettre de concrétiser ce qui n’a pas été concrétisé sur le moment.
Et on se dit aussi quelques mots sur ce qu’on a ressenti, ce qu’on a découvert, ce qui nous a troublés, etc. Mais pas de longs baratins !
Ça se passe où ?
Mieux vaut que ça se passe dans un lieu favorisant l’empathie. Quand ça peut se passer chez quelqu’un, c’est mieux. Une salle de maison de quartier ou un bistrot ne sont pas l’idéal.
Et ça donne des résultats ?
Dans les faits, on est toujours très étonné de la manière dont chacun y trouve des solutions, parfois tout à fait inattendues.
Pour que les choses aient plus de chances de se concrétiser, c’est pas mal que chacun ait noté les besoins et les offres de chacun des autres ; car les solutions peuvent se présenter des semaines ou des mois plus tard : « Oh, tiens, je me rappelle qu’Untel/Unetelle souhaitait… »
Et c’est mieux aussi, si chacun.e note bien les engagements qu’il a pris à l’égard de chacun.e des autres, afin de s’en souvenir !
Au fond, l’intérêt de l’Étincelle, c’est que ça crée des liens entre les personnes.
Oui, comme le font les SEL, par exemple. Mais, ici, il n’y a aucune organisation centralisée, aucun planning d’activités, aucune appartenance. Aucune monnaie non plus.
Une fois qu’on a participé ne serait-ce qu’une fois à une Étincelle, on est tout à fait capable d’en organiser soi-même. C’est une façon de faire qui peut se répandre très largement, très librement.
Pourtant, il ne suffit pas qu’on l’ait vécu une fois pour avoir envie de le refaire. Même des gens qui fonctionnent déjà beaucoup comme ça au quotidien ne se sentent pas forcément portés à en organiser… Il est souhaitable d’être, en plus, persuadé que ça peut fonctionner à grande échelle.
C’est donc une vraie concurrence aux supermarchés !
Il s’agit, en effet, de remplacer le réflexe « Je devrais acheter ci ou ça » par « Je devrais demander ci ou ça ». A ce stade embryonnaire, les hypermarchés n’ont pourtant pas grand-chose à craindre de la propagation des Étincelle! Oui, nous sommes sous l’emprise massive des marchandises que le système doit nous vendre s’il veut subsister ; ça prend du temps de se dégager de cette emprise…
A l’occasion de cette distance qu’on prend avec « acheter, encore acheter, toujours acheter », il se produit chez les participants une découverte d’un autre mode d’existence : « S’écouter prendre racine en soi, et voir se dessiner des chemins entre nos îles, surgir un archipel tissé de nos vies et, sans chaînes, généreusement, briller des étincelles de chaleur humaine. »
Besoins, nécessités, souhaits, envies, c’est bigrement large !
En participant à une Étincelle, en exprimant ce qu’on éprouve le besoin de recevoir, de donner, de partager, dans tous les domaines sans se mettre de barrières, on peut prendre conscience de tout ce qu’on veut faire sans quelquefois oser nous l’affirmer à nous-même, tout ce qu’on voudrait réaliser : ça peut inclure toutes les sphères : matérielle, spirituelle, psychologique et même financière.
Nous n’avons pas que des « besoins » ! Même nos envies sont « nous-mêmes », non ? C’est pourquoi parler d’une concurrence avec le commerce est tout à fait insuffisant. Dans une écoute chaleureuse, nous pouvons « reprendre pied » et être plus conscient de qui nous sommes en réalité.
Ça va donc bien au-delà d’une bourse d’offres et de demandes !
Laure, qui est à l’origine de ce processus : « On est un peu formatés à séparer les offres et les demandes : or, pour moi, ce n’est là qu’une habitude de la logique marchande des choses qui a besoin d’un donneur et d’un receveur. Cette logique va à l’encontre du bonheur de chacun, parce que pour moi les plus fortes intensités de bonheur – et je compte en vivre le plus souvent possible – ce sont les moments où il n’y a pas de ressenti de donneur ou de receveur. La chose n’est pas aboutie tant que je ressens en donneur et un receveur : quand cette perception se dissout, il y a encore plus de bonheur à recevoir. »
Ça existe depuis quand ?
Ça a démarré en Guadeloupe, limité à un groupe qui s’est dissous depuis. A Toulouse, depuis un an et demi, il y a eu une vingtaine d’Étincelle, réunissant de 2 à 10 personnes, des jeunes et des vieux, et même de jeunes enfants.
Ça veut dire que des groupes se sont formés ?
Une vingtaine de séances ont eu lieu, mais ça ne veut pas dire que des groupes se sont constitués. Ce n’est d’ailleurs pas le but.
Pour reprendre l’expression un peu mystérieuse de Laure : « La forme normale de l’Etincelle est la forme dissoute ». Autrement dit, le but des séances est d’activer les capacités de générosité de chacun. En participant à une ou plusieurs Etincelle, chacun.e entre en relation avec une personne, deux personnes, plusieurs personnes. Il y a un sentiment de confiance dans une manière de fonctionner, mais ce n’est pas un sentiment d’appartenance à un groupe qui se devrait fidélité, avec engagement horaire ou ce genre de choses.
Quels risques ?
D’abord, le « risque » de donner, de recevoir, de partager : toute nouvelle relation présente un risque…
Il y a aussi, bien sûr, le risque que les engagements ne soient pas tenus.
Mais il existe encore un risque très particulier : comme c’est quelque chose qui génère beaucoup d’enthousiasme à chaque fois et tout d’un coup, suivant l’univers relationnel dans lequel on est jusqu’alors, certaines personnes peuvent être assez déstabilisées parce que c’est une grosse porte de possibles qui s’ouvre. Il peut être difficile de parvenir à faire le pont entre ce qu’on a vécu jusqu’alors et ce qu’on vit sous forme facilitée dans l’Étincelle.
Des profiteurs ?
Chacun est garant de son propre sentiment d’équité. Ce n’est pas une instance extérieure, ni non plus des règles générales, qui vont décider de la justesse des choses, c’est « moi, comment je sens les choses », et « l’autre partie, comment elle ressent les choses ». Cette manière de mesurer peut d’ailleurs varier au cours du temps de l’échange.
C’est une révolution ?
Laure : « Je suis partie de mes propres observations de ‘Comment je fonctionne moi-même’, et ‘Comment les êtres humains fonctionnent entre eux spontanément dans les échanges’. Bien sûr, la plupart du temps, les gens ont l’impression que ce mode de fonctionnement ne peut être que marginal. Donc, ils n’osent pas affirmer que c’est comme ça que les choses fonctionnent au mieux, …même si c’est ce qu’ils préfèrent.
Les gens n’osent pas le dire parce que c’est complètement discrédité. C’est-à-dire qu’il faut – et c’est ce que tout le monde fait – passer son temps à faire fonctionner le système marchand pour que soi-disant, à grande échelle, les choses marchent : à la rigueur, on concède que, de manière marginale, on peut fonctionner comme ça mais c’est pas ça qui tient le filet.
Et si c’était l’inverse ?
Ce qui fait qu’on continue à se sentir vivants c’est qu’on fonctionne quand même un peu au moins comme ça ; on pourrait donc se sentir encore plus vivants si on fonctionnait carrément comme ça, si notre culture nous y poussait. »
Un participant : « L’Étincelle m’a fait toucher du doigt quelque chose à quoi j’aspirais confusément depuis longtemps. »
Un autre : « Si nous développons à grande échelle de telles manières d’’être ensemble’, y compris en privé, nous avancerons peut-être vers un village universel en rhizome sans limites géographiques, sans hiérarchie, sans centre.
Parce que nous aurons constaté dans les faits que nous sommes LA richesse alors que le système nous la vole en nous faisant croire que, sans lui, nous serions fichus.
Ceci dit, nous sommes largement complices de ce vol, tant que nous ne rejetons pas la manière de considérer le monde qu’il nous injecte…
Or, une Étincelle, ça vous rebat les neurones ! »
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C’est en mars 2012 qu’a été lancée la première étincelle en Guadeloupe, puis après un temps de latence, c’est fin 2014 ou 2015 via l’association Solidées qu’elles ont migré en France métropolitaine à Toulouse.
En tout, à cette date de 2021, j’estime à une quarante ou 50aine les moments formels d’étincelles.
A ma connaissance, 5 personnes autres que moi en on animé une, ou quelques unes.