Myriam exposait son sang dans une galerie d’art :

Interview

– D’où vient cette idée de « En Catimini » ?

Myriam : – D’une réflexion simple dotée de bon sens. Lors de mon premier retour de couches, réutiliser des protections féminines dites classiques (tampons, serviettes) parallèlement aux couches bébé pour mon enfant m’a fait réaliser cet impact non négligeable sur l’écologie que, en tant que femme, de ma naissance à l’état sénile, je porterai très certainement des protections plastifiées finalement : quasi toute ma vie ! Ce « simple » détail me choquait radicalement. Je décidai de prendre consciencieusement mes responsabilités et de mener en somme une enquête : mais comment faisaient mes grands-mères pendant leurs règles ? J’ai commencé par réaliser mes propres linges en tissu, donc biodégradables, pour recevoir le sang de mes règles que je lavais moi-même, donc réutilisables. De par ma connaissance des végétaux je donnais cet engrais de valeur en reversant l’eau de rinçage à la terre de mon jardin et le résultat sur les plantes était bien satisfaisant. Je me suis sentie tout à fait en accord avec le fait de ne plus consommer des plastiques et de donner une valeur ajoutée à mon sang. De là, je découvrais cette croyance Amérindienne si belle, qui dit : « si chaque Femme reversait son sang à la Terre, celle-ci en aurait moins soif et il y aurait moins de guerre ». Cela m’a laissée et me laisse encore songeuse …

– A ce stade là, vous êtes en train de vous faire votre philosophie : vous êtes une femme qui a un fonctionnement naturel et vous lui accordez de l’importance ; chose qu’on ne fait pas spontanément, ou qu’on fait sans se l’avouer, ou sans se le dire …

– Oui sans doute.
Après l’allaitement c’était comme une Amie qui revenait après une longue absence … Avec un nouveau visage empreint de ses voyages, ou plutôt devrais-je dire que je lui portais un regard nouveau. J’ai toujours été « réglée comme une horloge » et ces absences cause maternité m’ont réellement fait prendre conscience de l’importance de ces cycles, du système, du fait que j’y sois attachée. J’ai donc commencé à envisager le « problème » d’un point de vue autre que médical ou ordonné par mes … nos, fausses croyances.

– Des règles vous en aviez déjà eues avant la grossesse …

– Oui ! J’ai été réglée à douze ans et demi. Je ne m’étais jamais posé toutes ces questions et, en huit ans, j’ai obtenu beaucoup de réponses … Mes premiers travaux étaient basés sur l’anatomie. Je faisais des croquis de femmes sur lesquels je posais les tampons usagés. Je voulais accéder à la proportion du tampon, à sa place dans le corps d’une femme et comme un scanner visualiser l’invisible, le photographier. Je faisais également des liens avec un monde marin, les marées, jouant avec les formes de me réceptacles, les rythmes … Puis, par « obligation », durant ma deuxième grossesse, j’ai arrêté ces « jeux » et mon intérêt s’est porté sur les publicités, les modes de pensées, les échantillons, les arguments de vente des produits hygiéniques … Je ne savais pas ce que je faisais ni pourquoi, mais je me révélais passionnée !! Chaque renseignement semblait précieux ! Au deuxième « retour » je me suis mise à presser mes tampons ! Obtenant LA couleur on ne peut plus « vivante », j’ai commencé à dessiner avec mon sang. De récolter celui-ci, j’ai rencontré la proportion de sang que j’évacuais. La serviette, le tampon absorbent … en quelle quantité ? On ne peut le voir, il ne reste qu’à croire .. une fois de plus .. croire … J’étais satisfaite de visualiser que je ne me vidais pas et que ce n’était que peu de sang que je récupérais chaque jour même pendant les fortes douleurs.

– Cela vous a rassurée ?

– Oui, cela m’a rassurée.

– Y a-t-il une peur qui s’est évanouie, laquelle ?

– A l’évanouissement de cette idée, de réaliser que je ne me vidais pas de mon sang, je notais que l’inconscient collectif n’était pas loin. Et si ce n’était pas un poids réel si énorme que d’avoir ses règles au féminin, qu’allais-je faire avec cette nouvelle donne ? D’un coup d’un seul je me demandais : d’où venaient-elles ? Comment l’Humanité gère-t-elle ce détail depuis la nuit des temps ? Qu’en est le degré de développement dans les mentalités ? Puis-je les accueillir différemment ? Et qu’en est-il de cette différence entre la femelle animale féconde durant ses menstrues et la femelle humaine en général non féconde à ce même moment ? J’ai réalisé que j’avais des peurs et des idées reçues ; de fausses croyances qui n’étaient finalement pas que les miennes… Croire …

– A ce moment vous en parlez avec vos ami(e)s ? Avec d’autres gens ? Avec des femmes ?

– Non, pas encore, c’était un travail pour Moi.

– Et vous n’avez rien montré ?

– Non, c’était mon secret, pendant sept années, partagé avec le père de nos enfants, lui-même photographe. Il a toujours respecté ma démarche et entre nous il n’y avait pas de gêne en mes périodicités. Et puis les images n’étaient pas mûres (…) Aujourd’hui je peux montrer mes photographies, car je vis et accepte pleinement ma démarche qui se dévoile être plus bien plus que de l’artistique. Je suis tellement dans le sujet que mes connaissances, mon ressenti, mon vécu et l’ouverture aux autres, me permettent de travailler la mise en scène des images dans l’instinctif. Je ne décide pas de quelle façon je vais proposer une réponse, je fais confiance à ma connaissance de Femme, à mon savoir et cela se ressent dans mes photographies. Un des sujets dont je suis proche également est : les femmes enceintes. Dans le recueil de textes et photographies noir et blanc « Ainsi va la Vie », qui est le suivi de la naissance d’un enfant, la valeur du ressenti est identique : intense. Puis, il y a eu des « traces » en 2004 . Je prenais des très beaux papiers cartonnés sur les quels je mettais directement ma vulve et laissais une trace, genre test de Rorschach. Des éléments symboliques apparaissent .. papillons ..menhirs .. grottes… Avec des rouges flamboyants, des dégradés de tons ; cette fascination pour cette couleur qu’est le rouge sang, que mon sang ne salissait ni le tampon ni la serviette hygiénique mais que c’étaient bien elles, les protections, qui restituaient mal l’expression du sang et par là même le salissait.

– A ce stade là vous êtes en train de valoriser quelque chose qui est dévalorisé, voire même pire.

– Tout à fait. Maintenant, l’objectif n’est pas de monter une expo « simplement » visuelle mais de créer le débat voire même l’ouverture d’esprit sur un tabou sous-jacent à la sexualité : les menstruations. J’ai immédiatement appris que le ressenti est totalement différent envers le sang veineux ou menstruel ; c’est surprenant et tellement logique ! La première amie avec qui j’abordais « En Catimini » fit un véritable pas en arrière ; pourtant elle a toujours estimé mon travail artistique mais là j’allais trop loin dans le concept ! J’insistai subtilement et lui proposai une première photographie …elle a lâché sa peur, un a priori énorme. De voir, elle a compris. Finalement de vouloir en voir plus l’a surprise, elle s’est immergée dans les symboles et m’a félicitée ! Il existe une autre manière d’aborder et voir le sujet, dédramatiser, en accepter la beauté, oser en parler différemment et cela fait du bien. Maintenant cette amie me demande « périodiquement » des nouvelles images fraîches et m’a avouée que la relation à ses propres cycles évolue. Bien d’autres individus réagissent comme elle aujourd’hui ; lorsque je pose sur la table le sujet des menstrues, en groupe à cœur ouvert, chacun(e) écoute l’autre, un véritable échange d’égal à égal parce que l’on est tous concernés.

– Mais c’est pas ça une artiste : une artiste ça expose et puis voilà. Qu’est ce que vous faites là, vous ?

– Je suis curieuse.

– Vous êtes une artiste curieuse ou une curieuse artiste ?

– Les deux mon capitaine. Je suis curieuse, je n’aime pas les non-dits et dans ce sujet pour moi il y a des éléments à consolider. A mon sens il y a une injustice, une injustice profonde, déjà de toutes ces notions d’interdiction en tous genres pour les femmes menstruées que ce soit par les non pratiques de la religion, la non confection de la nourriture, des superstitions telles que durant ses périodes une femme par simple approche pouvait rendre un sol infertile, le miel rancissait, le vin tournerait au vinaigre et la mayonnaise ne monte plus !! Autant d’autres supplices moraux qui existent encore ? Bien ancrés … quelque part … ?

– Seriez-vous féministe ?

– Féminine.

– Dans votre démarche, si on la comprend bien, c’est dans un premier temps une prise de conscience personnelle, quelque chose qui mérite votre attention, votre aspiration écologique ; et maintenant, l’expo, elle joue quel rôle dans tout ça ?

– L’expo, elle est dans l’objectif de réconcilier nos esprits au sujet, par le beau et la mise en valeur de l’utilité des cycles. Même derrière la publicité pour les protections, le sang est symbolisé par du BLEU !! .. Le noble ? Je souhaite que l’on puisse remettre sa propre vision des choses en question, ôter des carcans qui ne sont plus les nôtres et se regarder, société, en 2007.

– Oui mais c’est pas le rôle de l’artiste, ça ?!

– Pour moi si. Je voulais être médecin mais les maths et moi n’étions pas copines .. ! Non ! J’ai simplement envie de partager tous ces échanges avec la gente féminine et masculine. Je me rends compte de la demande qu’il y a de vouloir savoir, d’entendre des témoignages, de comprendre, d’être rassuré … Deux fillettes de dix ans sont venues me chercher, elles avaient entendu parler de ma démarche dans une discussion entre leurs mamans, et elles voulaient voir … J’étais gênée .. et puis l’échange a été beau. J’ai découvert que je pouvais mettre mes connaissances à leur niveau. Je leur ai montré quatre séries et elles sont reparties ravies … « On peut en faire des choses !! » « C’est que ça alors ? » « Ca » ne peut être ressenti comme un martyre ni pour un homme ni pour une femme ! En observant la notion des cycles tout comme les astres, les marées, les saisons on revient à la notion de base que par définition la Nature est bien faite ! … Par exemple, lors de mes accouchements, je remarquais à quel point les contractions sont semblables à des règles douloureuses. Etais-je donc par cela, plus à même de mettre au monde sans avoir peur de la douleur ? J’ai confiance en ce que la Nature me donne.

– Bien, d’une part vous exposez mais particulièrement : vous vous exposez et vous exposez votre sang. D’autre part, vous vous exposez à beaucoup de réactions.

– Aussi.

– Parce que vous en aurez de très chaudes ou méprisantes, des heurtées, des douces.

– Les individus réagissant de façon méprisante au départ sont en minorité. Ils trouvent que c’est une idée étrange, ou me définissent comme anormale d’aborder ce sujet « sale ». A partir du moment où j’entame la partie visuelle avec eux, les réactions s’apaisent parce que ce sont de belles images. Dès lors que l’on trouve ce qui parle à notre bon sens, en repère avec des symboles qui nous sont propres, les nœuds se dénouent. Je fais des dessins avec mon sang ok, mais je n’accroche pas mes dessins ensanglantés sur le mur … J’en fais une photo, il y a une distance d’établie, de la pudeur et surtout on ne devine pas toujours que c’est du sang.

– Ni que c’est le vôtre !

– Exact ! Tout le monde n’ose pas l’envisager, ou ne sait pas que je suis une femme authentique, une artiste entière ! J’aime les vérités. Alors je raconte des histoires pour que chacun puisse avoir la sienne qui le « dé-consoliderait » des croyances erronées. Les personnes choquées dans un premier temps s’ouvrent finalement à la discussion et c’est là que je suis assurée de pouvoir montrer mon travail dans un but de communication. C’est rassurant … Je ne serai pas brûlée sur la place publique !!

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